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RÉUSSIR - L’AGRICULTEUR NORMAND
- 22 MAI 2014
DECRYPTAGE AGRICULTURE DE PRECISION En démonstration il y a quelques jours dans l’Orne, l’apport modulé
d’azote, via la technologie N-Sensor, pourrait faire partie de l’offre de services proposée aux agriculteurs l’an prochain par une, voire plusieurs, ETA (Entreprise de Travaux Agricoles) de Normandie.
apport modulé d’azote
L’
se précise dans l’Orne ’essayer serait-il l’adopter ? On n’est pas loin de le penser à l’écoute des commentaires des quelques agriculteurs ornais qui ont pu tester, le 7 mai dernier, la modulation azotée sur blé. Une démonstration proposée par l’ETA Gauquelin(1) (Briouze) et suivie de très près par Agrial. “Et si l’an prochain je déléguais mes 2ème et 3ème passages d’azote ?”, s’interrogent déjà certains.
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N-Sensor Cette technologie a été mise au point par le département Recherche& Développement du premier fabricant d’engrais, spécialiste de la nutrition des plantes.
La fin du doigt mouillé ? “A quoi bon disposer d’une cartographie de la biomasse si, derrière, on ne module pas les apports d’intrants ?” C’est à cette question qu’a voulu répondre Patrice Gauquelin, patron de l’entreprise éponyme. Au doigt mouillé ? Ça peut se faire, mais avec une garantie de résultats, avouons-le, assez aléatoire. Avec l’agriculture de précision et ses nouvelles technologies, on sort peut-être de la préhistoire pour entrer dans un nouveau monde où l’on produirait plus en consommant moins. Une technologie de pointe dans laquelle il faut cependant oser
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La mise en œuvre du N-Sensor comprend 3 étapes principales: - la phase d’étalonnage qui consiste à cibler une zone homogène sur laquelle le tracteur doit rouler à allure modérée, - l’estimation de la dose à apporter pour la zone étalonnée. Pour cela, il est possible de se référer à la méthode traditionnelle des bilans azotés ou utiliser des outils comme le N-tester, - la modulation en temps réel qui s’effectue par réflectance avec un capteur optique qui mesure la lumière réfléchie par la culture. Les valeurs mesurées sont associées au référencement géographique grâce au capteur GPS intégré dans le N-Sensor. Les informations sont ensuite envoyées à l’ordinateur de bord qui calcule la dose à appliquer et asservit l’épandeur attelé.
investir et ensuite maîtriser. C’est pourquoi les ETA y vont groupé à travers une association créée très récemment : le “réseau Cléo - l’innovation dans les champs”. A sa tête, Pierre-Henri Hamon, entrepreneur de travaux agricoles à Guer, dans le Morbihan. L’an dernier, son entreprise a investi dans l’outil N-Sensor. Cette année et au-delà de sa zone d’activité, elle propose en partenariat avec des ETA locales, des démonstrations à la demande. “Mettre la bonne dose au bon endroit, c’est l’ambition de tous les partisans de l’agriculture de précision qui souhaitent moduler le plus finement possible l’apport d’intrants en fonction des besoins réels de la plante et ceci grâce à une gestion intraparcellaire, explique Pierre-Henri Hamon. L’évolution des réglementations et de la société nous obligent plus que jamais à nous adapter rapidement. Toutes ces évolutions entrainent d’importantes pertes de compétitivité pour l’agriculture française. C’est dans cette logique que nous recherchons systématiquement, à notre échelle, les meilleures solutions qui peuvent
Sylvain Mézeray (Agrial)
“Il y a un optimum économique derrière tout cela” Pour Sylvain Mézeray, RTE (Référent TechnicoEconomique) à Agrial, l’objectif est de ne plus gaspiller d’azote. “Il y a un optimum économique derrière tout cela”, plaide-t-il. Quel est l’objectif global de la modulation de dose ? L’objectif est de ne plus gaspiller d’engrais. Avant, à l’ancienne, on aurait mis sur cette parcelle 40 unités de façon linéaire. Avec cette technologie, on va peut-être en mettre 30, peut-être 50 ? Mais, au moins, la consommation correspondra à un besoin réel. Il y a un opti-
mum économique derrière tout cela.
Sylvain Mézeray en discussion avec un Agrialiste : “la modulation, dans les zones où l’état nutritif de la plante est faible pour atteindre l’objectif de rendement fixé par l’agriculteur, va permettre d’apporter plus d’ammonitrate. A contrario, dans les zones où l’état végétatif est bon, on en apportera moins”.
Cela n’aboutira pas donc forcément à une consommation moindre d’engrais ? Effectivement, on ne peut pas l’affirmer. L’objectif est d’apporter la quantité d’intrant nécessaire par rapport à un objectif de rendement fixé par l’agriculteur. Mais, auparavant, on raisonnait à la parcelle et comme les sols ne sont pas toujours homogènes, on sousdosait à certains endroits et surdosait à d’autres. On va donc gagner en précision. Quelle est la différence
avec Farmstar ? Farmstar propose aussi une cartographie par satellite qui mesure l’état de nutrition azotée de la plante à un instant T. On peut connecter cette information au N-Sensor et moduler ainsi la dose. Mais en ce jour (Ndrl : 7 mai), le satellite est passé le 25 avril. Il y a donc quelques jours de décalage entre la mesure et l’opération d’épandage d’engrais. Quelques jours pendant lesquels l’état végétatif de la plante a évolué. Avec cette technologie proposée aujourd’hui en démonstration par l’ETA Gauquelin, la mesure des besoins de la plante se fait le jour J. RECUEILLIS PAR TH. G
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DECRYPTAGE
Des capteurs optiques montés sur le tracteur évaluent l’état de nutrition azoté de la plante.
aider nos clients à maintenir leur compétitivité. Les techniques et les technologies existent aujourd’hui, mais leur mise en œuvre et leur coût demeurent des freins importants à l’échelle d’une exploitation agricole. Nous pensons que ce type de solutions entre pleinement dans le rôle et le service que les ETA de demain doivent être en mesure d’apporter à leurs clients”.
Des parcelles plus homogènes à la récolte Mais qu’en pensent les agriculteurs qui disposent d’une année de recul ? “J’ai fait intervenir l’ETA Hamon avec le N-Sensor pour le 3ème apport d’ammonitrate sur mes céréales (blé et triticale). Ce qui est impressionnant, ce sont les fluctuations de dose d’azote qui apparaissent à la console en temps réel dans la parcelle. Par rapport aux années passées, j’ai constaté que mes parcelles étaient plus homogènes à la récolte”, commente Jean-Jacques Bagot, agriculteur à Carentoir (56). Autre témoignage de Yoan
Pierre-Henri Hamon (gérant de Cléo) : “N-Sensor est un dispositif de détection en temps réel qui réalise en une seule opération 3 actions : mesure de la réflectance du couvert, traitement du signal et envoi des consignes d’épandage”.
Février, son voisin de Montneuf : “j’apporte de la matière organique régulièrement. Avec le N-Sensor, cela permet de moduler la fertilisation minérale en tenant compte de la matière organique apportée et de l’état nutritionnel de la plante. Compte tenu du coût des engrais et des normes environnementales, c’est important également d’apporter l’azote là où il faut”. Et effectivement, à vérifier à l’écran la quantité d’azote apportée à l’instant T, on s’aperçoit que ça jour du yoyo. Plus que du simple au double. “On peut penser que là où on en met moins, il n’y aura pas de perte d’azote sans hypothéquer le rendement. Là où on en met plus, on se rapprochera étroitement de l’objectif de rendement fixé”, commente-t-on dans la plaine ornaise. En toute logique, plus de quintaux grâce une linéarisation à la hausse. Une hypothèse facile à vérifier pour qui disposerait d’une cartographie de rendement. Il pourrait comparer le “avec” et le “sans” N-Sensor. “Cette optimisation se traduit en moyenne par
un écart de 50 unités d’azote entre les zones de fertilisation extrêmes dans une même parcelle. C’est impressionnant,” conclut Patrice Gauquelin. Mais à la question : “allez-vous investir pour proposer cette technologie à vos clients l’an prochain ?”, il répond par un sourire préférant insister sur le fait que la modulation “ça marche en orge et en colza aussi”. Il n’y a plus qu’à attendre la moisson pour recueillir le sentiment de nos agriculteurs/testeurs sur une technologie qui pourrait marier durablement production et environnement tout en apportant une traçabilité des interventions qui devrait satisfaire une administration, même très tatillon. TH. GUILLEMOT
: Patrice Gauquelin est président d’EDT Normandie (Entrepreneurs Des Territoires) Maison des Entreprises BP 14 50600 St-Hilaire-du-Harcouët Tél. 02 33 79 33 72 - Fax. 02 33 79 33 77 Email.
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“Faire épandre son engrais n’est pas encore entré dans les mœurs, mais la modulation de l’apport d’azote présente de sérieux atouts techniques, économiques, environnementaux... En terme de traçabilité aussi”.
Patrice Gauquelin ppp “Pour apporter de l’innovation à nos clients agricuteurs” Qu’est-ce que le réseau “Cléo. L’innovation dans les champs” ? C’est un groupement de 6 ETA (Entreprise de Travaux Agricoles) bretonnes, 1 ETA mayennaise et nous (Ndrl : ETA Gauquelin à Briouze-61) dont l’objectif est d’apporter de l’innovation en termes de services rendus aux agriculteurs. Cléo permet dans un premier temps de mutualiser les connaissances et le matériel. En phase de démonstration, on ne peut pas se permettre d’investir individuellement dans de tels équipements. On doit d’abord mesurer le potentiel client avant de se lancer. Faire en quelque sorte une étude de marché. Justement, où placez-vous le seuil de rentabilité pour vous, entrepreneur, mais aussi pour l’agriculteur ? Pour l’ETA Gauquelin, l’objectif des 1 500 ha à épandre constituerait une bonne base de départ. Côté agriculteur, il devra compter de 25 à 30 €/ha en fonction des options demandées. Je pense que c’est aisément amortissable au regard des économies potentielles d’intrants et du gain de rendement estimé entre 3 et 5 quintaux.
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C’est un nouveau marché qui s’ouvre aux ETA ? Oui, comme toute innovation. L’agriculture bouge, change... A nous de nous adapter. Alors bien sûr, faire épandre son engrais n’est pas encore entré dans les mœurs, mais la modulation de l’apport d’azote présente de sérieux atouts techniques, économiques, environnementaux... En terme de traçabilité aussi. Si on y ajoute des difficultés d’organisation du travail à des moments clés dans certaines exploitations, je pense que ce nouveau service à de l’avenir, peut-être pas pour tous les apports d’azote, mais au moins pour le dernier qui va plus particulièrement conditionner le rendement et la qualité finale. J’ai senti les agriculteurs, chez qui nous avons effectué cette série de démonstrations, plutôt preneur. Reste à transformer l’essai. RECUEILLIS PAR TH. G
Agriculture de précision : un consortium vise 30 % des surfaces françaises de blé
Entre le 84 (en haut à gauche) et le 34 (en bas à droite), il s’est passé 11 secondes. Cette optimisation se traduit en moyenne par un écart de 50 unités entre les zones de fertilisation extrêmes dans une même parcelle.
L’adaptation de la dose d’azote en fonction des besoins de la culture permet de gérer des parcelles hétérogènes, d’économiser de l’azote là où il n’est pas utile d’en apporter, de fertiliser à l’optimum des zones à forts potentiels et donc d’améliorer le rendement, de réduire la verse.
Le Fonds unique interministériel (FUI) a sélectionné, lors de son 17ème appel à projets, l’outil d’un consortium sur l’agriculture de précision, qui vise plus de 30 % des surfaces françaises de blé d’ici à 2023. « Le projet Smart Agriculture System combinera des données terrain en temps réel à un système de modélisation pour réaliser des préconisations d’apports en intrants au niveau intra parcellaire », indique le 15 mai un communiqué du pôle de compétitivité Végépolys, qui l’a labellisé. 3,1 millions d’euros lui sont consacrés dans un consortium réunissant 7 partenaires, dont la chambre d’agriculture du Loiret, la coopérative AgroPithiviers, Vilmorin, mais aussi l’équipementier Chesneau, des modélisateurs, le spécialiste en images satellitaires radars Telespazio. “Appliqué au blé, cet outil d’aide à la décision s’adressera aux agriculteurs, aux conseillers, semenciers et transformateurs », précise le communiqué.