La Planète, ses crises et nous Denis Dupré et Michel Griffon

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ATLANTICA

2008

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Merci à Véronique et tous ceux qui veulent bâtir une planète harmonieuse pour Pierre, Olivier, Antoine, Marie, Jean et les Autres...

Merci à Claudine Lemoine, Véronique Métay ainsi que Odile Blanchard, Isabelle Girerd, Pascal Louvet et Pascal Dumontier pour la relecture

Pour Marie Jeanne, Elise et Florent.

Nous ne pourrons pas tout faire dans les cent premiers jours. Ni dans les mille premiers jours, ni pendant toute la durée de notre mandat, ni même peut-être pendant toute notre vie sur cette planète. Mais, commençons! [ Discours d'investiture, 20 janvier 1961] John Fitzgerald Kennedy

Il y a l'avenir qui se fait et l'avenir qu'on fait. L'avenir réel se compose des deux. [ Propos sur le bonheur (1928) ] Emile-Auguste Chartier, dit Alain

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« La mondialisation financière a fait entrer le cheval de Troie de la grande criminalité au cœur même des démocraties. Méprisant Cassandre et ses sombres augures, les responsables politiques, les médias, les citoyens, ont préféré croire, jusqu’à présent, que le monde ne saurait travailler à sa propre perte. Il est temps de se dire qu’on n’entre pas dans l’avenir les yeux bandés. » 1 Jean de Maillard, vice-président du tribunal de grande instance d’Orléans.

Section 2 – L’expansion des mafias En 2050, voici le résumé du livre d’histoire des étudiants concernant les 100 dernières années : « 1950-1980 : période de reconstruction de l’après-guerre et d’euphorie collective : il semble alors que la pauvreté et la misère puissent un jour disparaître dans un monde où les démocraties deviendront le régime politique standard. 1980-2010 : Dès 1985, l’humanité sait qu’elle a une empreinte écologique dépassant les capacités de la planète. Dès 2007, de nombreux rapports prouvent définitivement que le pétrole va disparaître, que l’eau et la nourriture risquent de manquer dans de nombreux endroits. De multiples actions sont mises en œuvre mais s’avéreront inefficaces pour les raisons décrites ci-dessous. 2010-2030 : La part des mafias dans les entreprises passe de 20% à 40% et la part de la richesse mondiale stockée dans des états minuscules, dénommés paradis fiscaux, qui ont moins de 0,1% de la population, passe de 50% à 70%. Le pillage des biens communs (eau, nourriture, forêts, énergie) s’accélère à mesure que leur valeur monte et que leur usurpation est de plus en plus fructueuse. La corruption des politiques est généralisée. Les exodes se multiplient, la misère est partout et les dictatures remplacent les quelques démocraties. 2030 – Des soulèvements populaires renversent le pouvoir dans certains pays émergents, et les révolutionnaires créent les premiers tickets de restriction permettant de limiter les droits d’accès par habitant aux biens communs contrôlés par un nouveau corps de fonctionnaires. Comme en 1789, cette révolution en déclenche d’autres dans de nombreux pays du monde. Ces pays organisent les échanges entre eux, se nomment pays propres, et limitent leurs échanges avec les autres pays corrompus du

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De Maillard J., Un monde sans loi, Stock, 1998.

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monde. Tous les organismes que nous connaissons sont créés : l’Ordre Mondial (OM) avec une gestion politique commune où chaque nation propre est représentée. La Banque Unique (BU) permet la traçabilité des richesses de chaque habitant de la planète. La Bourse des Biens Communs (BBC) permet d’échanger les tickets de bien commun octroyés chaque année à chaque habitant de la planète. Le Corps d’Estampillage (CE) valide sur tous les produits les cinq indicateurs : le taux de CO2, le volume d’eau, la quantité d’énergie, le nombre d’hectares mobilisé, le taux de respect planète ; seul le prix en monnaie mondiale reste libre. A l’achat, il faut payer avec la carte « arc-en-ciel » qui débite nos 6 comptes : monnaie mondiale, monnaie CO2, monnaie eau, monnaie énergie, monnaie hectare, monnaie respect. Toute personne peut vendre ou acheter librement ces monnaies auprès d’une unique banque : la BBC » Science fiction ? Après avoir souligné l’expansion forte des pratiques mafieuses, nous allons montrer comment elles contrôlent les entreprises et minent les démocraties. Enfin, nous verrons que, si la lutte contre les mafias n’est pas soutenue rapidement par les populations, la réalité de demain sera à l’aune de cette science fiction car nous pensons que l’expansion des mafias empêche toute réalisation efficace de nos objectifs écologiques.

2.1 Les trafics en expansion d’une mafia de razzia En 2000, Eva Joly, juge du pôle financier, nous a-t-elle donc avertis en vain2 ? : « Je vois nos petits pas incertains sur le terrain du monde sans loi, cette sphère financière où l’absence de règle donne le vertige… Les plus forts agissent avec un sentiment d’impunité. Je vois tant de ressemblance en France et à l’étranger, entre les corruptions d’état et les mafias en tout genre. Mêmes réseaux, mêmes banques, mêmes villas de marbre.» Comme le souligne le rapport 2006 de Transparency International3, la corruption paie les décideurs pour conduire à des décisions contraires aux intérêts collectifs: « De nombreux cas graves de scandales de corruption ont été enregistrés au cours de l’année écoulée. Au nombre de ces scandales, on peut citer la destitution du vice-président de l’Afrique du Sud intervenue suite à des accusations de corruption contre sa personne ; des enquêtes menées contre les chefs d’Etat ou des anciens dirigeants

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Joly E., Notre affaire à tous, Les arènes, 2000. http://www.transparency.org/publications/gcr/gcr_french_2006

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de partis politiques en Israël et au Costa Rica ; et d’importants procès de corruption qui se sont déroulés en France, au Népal et au Venezuela.». Nous ne pouvons ici décrire l’ensemble des phénomènes recensés tant ils sont nombreux et touchent tous les pays. Aussi nous nous attacherons à quelques exemples pour décrire la perversion des mécanismes à l’œuvre. Jacques Attali4 annonce que le marché mondialisé ne libérera pas les peuples de la misère comme il l’avait pensé, et que les mafias inéluctablement vont diriger le monde. De par ses fonctions, conseiller spécial du Président de la République François Mitterrand et Président de la Banque Européenne pour la Reconstruction et le Développement de 1991 à 1993, il est un observateur crédible des évolutions du monde politique et financier. Sur ce déferlement mafieux, il pourrait bien avoir raison. Le Gafi (Groupe d’action financière sur le blanchiment de capitaux), organisme officiel international chargé de lutter contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme, est lui-même alarmiste : « Le volume agrégé du blanchiment de capitaux dans le monde se situe sans doute dans une fourchette de deux à cinq pour cent du produit intérieur brut mondial. Si l’on se réfère aux statistiques pour l’année 1996, ces pourcentages permettraient de penser que le blanchiment de capitaux a représenté de 590 à 1 500 milliards de dollars des États-Unis. La criminalité organisée peut en effet infiltrer les institutions financières, acquérir ou contrôler des pans entiers de l’économie par ses investissements ou encore proposer des pots-de-vin à des agents publics, voire corrompre des gouvernements entiers. » Si l’on compare le blanchiment annuel à la capitalisation des bourses mondiales, une trentaine d’années de blanchiment devraient suffire pour acheter la totalité des bourses mondiales. Ceci nous donne une idée de la puissance financière de l’argent du crime.. Le boom mafieux de la dernière décennie permet de penser 5 que « l'économie parallèle représente 10% du PIB mondial... Mais on a tout lieu de croire que cette proportion est en fait beaucoup plus importante. Le trafic d'êtres humains rapporte à lui seul de 7 à 10 milliards de dollars par an. Et la quantité de drogue saisie a doublé entre 1990 et 2002, ce qui laisse à penser que le trafic de drogue a décuplé durant cette période. » Mais il n’y a pas que l’argent du crime, il y a l’argent de la corruption des décideurs. La Banque Mondiale souligne que, outre la criminalité, la corruption est un marché brassant des sommes de même ampleur 6 : « La corruption peut être considérée comme une très grosse

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Attali J., Une brève histoire de l’avenir, Fayard, 2006. Anquetil J. et F. Armanet, Le boom du crime organisé, L’Express, 22 février 2007. 6 Le coût de la corruption : 6 questions posées à Monsieur Daniel Kauffman, Directeur Programme Gouvernance, Institut Banque mondiale sur http://web.worldbank.org/ 5

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industrie. Notre priorité est de mesurer le volume des pots-de-vin payés au secteur public par le secteur privé, les entreprises comme les individus. Même en restant conservateur, on arrive à un volume annuel de pots-de-vin à l'échelle mondiale se montant à environ 1000 milliards de dollars ». Souvent, l’opinion populaire affirme qu’il y a toujours eu des mafias. Oui, mais… Nous pensons que la mafia actuelle est d’un type beaucoup plus dangereux que la traditionnelle mafia italienne immortalisée par le film « Le Parrain ». Il existe deux types de mafias. Nous décrirons le premier type comme une mafia enracinée, qui, comme un champignon parasite sur son arbre, se développe en l’affaiblissant mais ne le tue jamais. C’est la mafia de territoire qui rackette. C’est typiquement celle que chacun a dans son esprit et dont on s’inquiète peu. Les Italiens arrivent à survivre malgré bientôt deux siècles de prédominance mafieuse dans le sud de l’Italie. Cette mafia est gestionnaire car elle a besoin de conserver un territoire viable et une population à racketter. Ainsi, malgré son profond défaut d’éviction de la démocratie, elle est une organisation, comme les seigneurs, qui gère, tant bien que mal, l’environnement et les hommes. Nous identifierons le deuxième type comme une mafia nomade qui, tel un aigle, fond sur sa proie et tue. C’est la mafia de raid qui pille. Ce sont les vikings, pillards7 avides des richesses des monastères, qui accomplissaient des raids sur les côtes de France et d’Angleterre. Ce sont les pirates, mot qui vient du verbe πειραω signifiant « tenter sa chance à l'aventure ». Ils pillent et rançonnent les riches voyageurs et se cachent dans des îles perdues. Ils ne respectent ni les hommes ni les territoires. La mafia moderne est du deuxième type. Elle est destructrice des hommes et de la planète. Elle pille les ressources : détruit les forêts en corrompant les décideurs pour s’octroyer des concessions, pollue par installation d’usines qui ne respectent aucune règle en payant des pots-de-vin pour que les fonctionnaires ferment les yeux, rejette des déchets radioactifs en mer Méditerranée, inonde de déchets toxiques la Chine et l’Afrique. Elle détruit les hommes : organise la prostitution dans le monde, rançonne les migrants travailleurs clandestins, exploite les travailleurs des ateliers clandestins, assure les trafics de drogue, d’armes voire d’organes humains. Elle va cacher son butin dans les paradis fiscaux. Ironie de l’histoire : ce sont souvent les mêmes îles-refuges que du temps des pirates. La mafia moderne est donc du type le plus dangereux pour nos sociétés et de plus, elle est en passe d’influer notablement sur l’avenir de la planète à cause de la mondialisation.

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voir les multiples raids et pillages sur http://fr.wikipedia.org/wiki/Vikings

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2.2 Les mafias contrôlent-elles les entreprises ? La mafia est en expansion forte, soit ! Mais nous ne nous sentons toujours pas concernés ni au travail, ni dans notre vie quotidienne. Pourtant, en Italie par exemple, il est impossible d’estimer le nombre d’entreprises dirigées par des personnes aux pratiques mafieuses ou financées par des capitaux mafieux imposant leurs pratiques à des dirigeants nommés en conseil d’administration par les actionnaires. Par ailleurs, des liens entre ces entreprises et les pouvoirs politiques existent. Silvio Berlusconi, qui est un cas emblématique du mélange des affaires et de la politique (voir annexe 1 Affaires et politiques : le cas Berlusconi), vient d’être réélu en 2008. Le cas de l’Italie est loin d’être le seul et nous aurions pu étudier d’autres démocraties comme la France, les Etats-Unis ou des régimes forts comme la Chine et la Russie sans compter nombre de pays d’Afrique et d’Amérique latine. Aucune entreprise n’est hors de portée. Certes, certaines sont plus utiles que d’autres : les sociétés de certification des navires peuvent par exemple permettre de faire circuler plus facilement des navires en mauvais état. La gangrène touche des grandes entreprises mais les petites entreprises sont également des cibles des mafias qui auraient financé de l’ordre de 300 jeunes entreprises start-up en région parisienne lors de l’essor d’Internet dans les années 2000. Ceci nous amène à nous poser une question : la main-mise des mafias sur certaines entreprises change-t-elle le comportement de toutes les entreprises ? Comme pour la monnaie pour laquelle on dit que la mauvaise chasse la bonne, l’entreprise malhonnête chasse aussi l’entreprise vertueuse. Un PDG honnête ne pourra pas continuer à rater des contrats parce qu’il ne verse pas lui de commissions occultes, ou bien à payer 33% d’impôt alors que son concurrent n’en paye que 3%. Le PDG honnête n’a pas d’autres choix que de disparaître ou de suivre. Nous aimerions que les entreprises « légales » n’évitent pas l’impôt. Or, « l’optimisation » fiscale est une pratique généralisée et permet de bien souvent limiter l’impôt à un montant symbolique (voir section 3 annexe 2). Nous aimerions que les entreprises « légales » refusent la corruption. Eva Joly a souligné la généralisation des pratiques douteuses dans les entreprises8 : « Si j’ajoute les entreprises du CAC40 qui opèrent sur des marchés où des pratiques répétées de commissions occultes ont déjà été reconnues par les principaux intermédiaires (l’énergie, la grande distribution, l’armement, les travaux publics, les services aux collectivités locales) et si j’ajoute à cette liste les grandes sociétés de la banque et de

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Joly J., Notre affaire à tous, Les arènes, 2000.

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l’assurance qui utilisent quotidiennement les trous noirs de la finance, j’arrive à une vingtaine de sociétés. Sur quarante. ». Pour illustrer le propos, voici une pratique ordinaire9 : « Le parquet de Paris vient d’ouvrir une information judiciaire visant implicitement le groupe Total soupçonné d’avoir versé des commissions en Suisse pour obtenir des permis d’exploration pétrolière en Iran. Entre le 1er décembre 1998 et le 15 août 2003, 41 millions de francs suisses, en provenance du groupe pétrolier ont atterri sur un mystérieux compte Siakal ouvert à la banque Lombard Odier Darier Hentsch et Cie à Genève. Pour la justice suisse, le versement de ces 41 millions de francs suisses apparaît illicite puisque n’ayant qu’un objectif : permettre à Total de décrocher un marché avec le régime de Téhéran. De plus, le bénéficiaire de cette manne, un Iranien, n’a rien à voir ni de près ni de loin avec l’industrie pétrolière. Il serait surtout proche de la famille Rafsandjani. » Nous aimerions que les entreprises « légales » s’assurent du respect des hommes et de la planète. Dans la majorité des entreprises, le recours à

la sous-traitance permet d’honorablement pratiquer la

dégradation des terres et le mépris des hommes. Qu’est-ce qui finalement différencie l’entreprise « légale » de l’entreprise mafieuse ? Il ne reste que l’élimination physique des concurrents !

2.3 Notre fonctionnement démocratique a-t-il à craindre des mafias ? Citoyens avertis, vous pensez que la loi et le vote démocratique peuvent enrayer ce processus d’infection. Malheureusement, la démocratie, elle-même, est rongée par la corruption politique. Dans la liste des pays à revenus élevés "où les partis politiques ont été classés comme l’institution la plus corrompue", Transparency International en 2007 cite l’Allemagne, le Canada, l’Espagne, les EtatsUnis, la Finlande, la France, Israël, l’Italie, le Japon, le Luxembourg, la Suisse et le Royaume-Uni. Parmi ceux à revenus intermédiaires inférieurs, figurent la Bosnie-Herzégovine, la Serbie, la Roumanie, la Colombie, le Pérou, l’Indonésie, les Philippines et la Thaïlande. 2.3.1 Les politiques utilisent les circuits des mafieux L’affaire du financement du Parti Républicain en France a montré que les partis utilisent des circuits de blanchiment identiques à ceux des trafiquants de drogue. La pratique consiste à amener de l’argent en liquide dans une banque à l’étranger qui consent un prêt. La réalité consiste à ne pas rembourser ce

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Gaesner G., « Total : enquête ultra-sensible », L’Express, 9 janvier 2007.

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prêt, la banque se payant en saisissant le dépôt. Apparemment, il n’y a pas de délit : un client est incapable d’honorer le remboursement de son prêt et l’argent prêté par la banque devient de l’argent blanchi puisque son origine est un prêt bancaire classique. Seul le lien avec le dépôt peut montrer l’origine suspecte du montage. Dans cette affaire, seul un hasard a fait découvrir ce dépôt et le financement10 occulte : « Dans ce dossier gigogne, le tribunal va commencer par s'intéresser au naufrage du Fondo, une petite banque italienne, pour arriver, en cascade, au curieux prêt de 5 MF consenti à l'ancien parti de François Léotard. Cinq millions de francs en liquide ont été remis en 1996 par le PR à une petite société italienne agissant comme banque. Cet établissement avait ensuite reversé l'argent au PR sous forme de prêt, une opération assimilée à du blanchiment d'argent par la justice. En juin 1996, le Fondo « prête » au Parti républicain 5 MF pour lui permettre d'acheter son siège à Paris.» A l’examen de cette affaire, il faut se demander comment les politiques pourraient voter des lois antimafias, alors que, pour ne pas dévoiler leurs pratiques, ils ont besoin de garder opaques les mêmes circuits de l’argent. Les notables et les politiques ont-ils donc des intérêts à laisser se créer des « outils de blanchiment » sans risque, pour que les mafias, notamment russes, possèdent les propriétés de la Côte d’Azur ? Pourquoi les députés que nous avons élus et qui connaissent le problème des Sociétés Civiles Immobilières (SCI) ont-ils préparé un projet de loi pour empêcher les pratiques douteuses puis ont oublié de le voter en 2002 (voir annexe 2 : La SCI : un outil désigné pour les pratiques troubles) ? Nous n’avons abordé qu’un cas emblématique de ce désengagement de la lutte contre les mafieux, indifférent pour le moins, crapuleux au pire, des politiques. Finalement, il n’y aura eu qu’un bref sursaut des politiques qui a duré le temps d’un feu de paille, le 11 septembre 2001 quand mafia et terrorisme ont nargué le monde. Alors que les inquiétudes des juges dans leur « appel de Genève » en 1996 n’avaient trouvé aucun écho chez les politiques français, l’Union Européenne a réalisé un travail remarquable à l’occasion de la « Déclaration de Paris contre le blanchiment », ( voir Annexe 3 ). Elle affirme alors avec force « Le 11 septembre a provoqué une prise de conscience internationale de l’urgence d’une lutte implacable contre le terrorisme et son financement ». Cette urgence s’est cependant évanouie dans une inaction stupéfiante : tout est dit dans cette annexe…si peu a été fait depuis !

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Valdiguié L., Le Parisien, 17 novembre 2003.

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2.3.2 La corruption politique est peu sanctionnée parfois même plébiscitée A ce jour, aucune étude statistique sur les élus n’a été rendue publique, ni par aucun gouvernement, ni par aucune commission d’enquête parlementaire. Pourtant11, en France, plus de 900 élus ont été concernés avec 1500 mises en examen en 10 ans et sur 128 personnes qui ont été une ou plusieurs fois ministre ou secrétaire d’Etat de 1992 à 2002, 34 ont été mises en examen dans la décennie, soit plus d’un quart. Sur 549 instructions closes concernant des élus, 70,5% ont donné lieu à une condamnation provisoire ou définitive … et, sur l’ensemble des personnes poursuivies par la justice, la délinquance financière représente moins de 4,5% contre 67,9% pour les élus. De plus, il faut remarquer que les élus poursuivis pour fautes involontaires sont relativement rares (5%), ce qui contredit le discours sur la protection des élus non coupables. La corruption n’est pas condamnable pour les partis politiques. Le Secrétaire Général du Parti Républicain a reconnu avoir remis cinq millions de francs à la banque Fondo dans le financement du PR. Auparavant, il avait déjà participé à la négociation d'un important contrat avec l'Arabie Saoudite portant sur la vente par la France de deux frégates antiaériennes (« Opération Sawari 2 ») qui aurait généré d'importantes commissions12 : « une partie de l'argent des commissions liées à ce contrat avait permis de financer la campagne d'un candidat aux présidentielles françaises. ». Il est devenu secrétaire général adjoint de l’UMP en 2002, puis porte-parole en 2003. En 2002, il est nommé Ministre délégué aux Affaires européennes. Il est condamné pour blanchiment d'argent le 16 février 2004 et devient Ministre de la Culture et de la Communication en 2005. La corruption politique est parfois plébiscitée par les citoyens. Dans de nombreuses élections locales, l’abus de bien sociaux apparaît aux électeurs comme une faute pardonnable. Parfois, il peut même sembler qu’un élu un peu corrompu pourra apporter à ses électeurs des avantages dont ils espèrent bénéficier. Le cas du maire de Levallois est instructif13 : « condamné en 1996 à quinze mois de prison avec sursis et obligé de rembourser près de 800 000 euros pour avoir fait travailler à son domicile des employés communaux ». En 2001, il effectue son retour et gagne les élections municipales de Levallois-Perret. Le préfet des Hauts-de-Seine saisit alors le tribunal administratif de Paris pour contester l’élection, ce dernier étant inéligible. En juillet 2002, le Conseil d'État annule son élection à la mairie. De nouveau éligible lors de l'élection municipale de septembre 2002, il est réélu Maire dès le 1er tour avec 54% des suffrages exprimés, améliorant son score de 2001. Lors des législatives de

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Fay B. et L. Ollivier, Le casier judiciaire de la République, Editions Ramsay, 2002. Decouty E., entretiens avec Loïk Le Floch-Prigent, Affaire Elf, affaire d'Etat, Le Cherche midi, Paris, 2001. 13 Lautru P.Y., « Jours tranquilles à Balkaland », L’express, 11 octobre 2007. 12

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juin 2002, il retrouve son siège de député de la 5ème circonscription des Hauts-de-Seine. Le citoyen de Levallois n’est donc en rien gêné par les condamnations successives et une « bonne gestion » de la ville semble effacer le délit, les petits arrangements apparaissant comme une pratique normale, voire même nécessaire. De façon générale, l’opinion publique, dont les médias se font le relais, semble apathique. Des affairistes russes ont proposé à un candidat à la présidentielle de 2002 (François Bayrou) de financer sa campagne présidentielle. Celui-ci le raconte honnêtement mais les citoyens y demeurent indifférents14.

Face aux mafias, la démocratie est d’autant plus fragile que nous avons perdu toute vigilance à la protéger.

2.4 Qui lutte contre les mafias ? 2.4.1 Les organisations Des organisations existent et essaient de faire un travail efficace. Transparency International évalue le niveau de corruption dans chaque pays et propose des aides aux pays pauvres pour organiser la lutte. Son analyse quantitative porte sur une perception de la corruption dans les différents pays. Mais plus elle est efficace, plus elle court le risque d’être infiltrée pour être utilisée15 « La corruption s'infiltre partout. Même dans les réseaux de l'ONG qui la dénonce. Transparency a ainsi menacé d'exclure le groupe allemand Siemens, un de ses partenaires. Siemens est accusé d'avoir trempé dans un vaste scandale de caisses noires de plus de 200 millions d'euros pour s'assurer des marchés. » Le GAFI, organisme intergouvernemental créé à l’occasion du G7 en 1989, et dont l’objectif est de mettre en place des normes internationales, développe et promeut des règles au niveau national et international, afin de combattre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme.

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Blanc H., « Les mafieux russes menacent l’Europe », L’Express, 28 juin 2004. Losson C., « La corruption composante gouvernementale », Libération, 8 décembre 2006.

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2.4.2 Des politiques Il faut rendre hommage aux hommes et aux femmes courageux qui luttent contre la mafia. Dans le monde, de nombreux anonymes agissent localement, au quotidien. Parfois, une figure emblématique émerge comme celle d’Ingrid Betancourt, femme politique détenue par les FARCs en Colombie depuis 2002. Avant d’être réduite au silence, elle a témoigné16 : « Quand je suis rentrée en Colombie, au début des années quatre-vingt-dix, Luis Carlos Galán, l'homme qui incarna l'espoir, venait d'être assassiné. Le pays, éprouvé par des décennies de violence et de corruption, était une nouvelle fois à feu et à sang, terrorisé par les attentats quotidiens des narcotrafiquants… La Colombie n'a jamais eu que des petits chefs de factions à sa tête. Nos vrais leaders ont tous été assassinés. Ces hommes médiocres se sont fait élire pour faire fortune avant de s'en aller profiter de la vie sous d'autres cieux. Où habite Ernesto Samper aujourd'hui ? Dans la banlieue chic de Madrid. Les seuls systèmes structurés, et remarquablement performants, sont ceux de la drogue, de la corruption, de ce qu'on appelle « le crime organisé »… Il faut inverser les forces, il faut que ce qui est noir devienne blanc. A deux reprises, j'ai été élue avec des scores remarquables et je sens aujourd'hui que je suis en mesure d'enrayer la corruption… Parvenue à ce stade, va-t-on me tuer moi aussi ? Tout ce que je construis en Colombie, c'est aussi pour avoir le bonheur d'y vieillir. Pour avoir le droit d'y vivre, sans craindre le malheur pour tous ceux que j’aime. » En France, des hommes politiques courageux et peu nombreux, réunis dans une association anticor 17 présidée par le juge Halphen, proposent une révolution éthique aux élus. 13 propositions de l’association anticor pour une révolution éthique !

Prévenir Réforme de la justice (nominations, carrière des magistrats, indépendance etc.), Non cumul des mandats et des fonctions, Formation obligatoire des élus aux bonnes pratiques de gestion, Reconnaissance du droit d’alerte pour protéger du licenciement les salariés révélant des malversations dans leurs entreprises,

Contrôler Etablissement d’un contre-pouvoir citoyen par le renforcement des outils de la démocratie participative (conseils de citoyens par exemple),

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Betancourt I., La rage au cœur, XO Edition, 2001.

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http://anticor.wordpress.com/

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Réglementation stricte du lobbying, Renforcement des chambres régionales des comptes et élargissement de leur saisine, Lutte contre les paradis fiscaux, bancaires et judiciaires (possibilité d’instauration d’un blocus), Renforcement de la transparence sur les déclarations de patrimoine et de revenu des élus et des candidats, Transparence sur les prix et revenus tirés de l’exploitation et de la gestion de l’énergie et des ressources naturelles (eau, gaz, pétrole …)

Punir Inéligibilité définitive des élus condamnés pour délits financiers, Suppression de l’amnistie des délits financiers, Réforme de la justice (carrière des magistrats et nominations, indépendance), Suspension de marchés publics à une entreprise condamnée pour avoir versé des pots-de-vin Le résultat de ces courages politiques reste cependant bien maigre. 2.4.3 Des juges Le bilan des politiques est décevant, la justice est-elle le dernier rempart pour nous protéger ? Les juges se sont rendu compte que leur pouvoir était limité par les procédures. Dans les affaires financières, la durée de la procédure pour savoir qui est le détenteur d’un compte à l’étranger est souvent de plusieurs années quand il n’y a pas une impossibilité totale d’obtenir une quelconque information. Sachant que les montages sophistiqués peuvent enchaîner des dizaines de comptes successifs, seuls des hasards, des maladresses ou d’anciennes pratiques rudimentaires aboutissent à des inculpations. L’impunité est la règle. Des juges sont en danger. Eva Joly écrit en 200018 : « Les analyses des magistrats italiens sur les mutations du capitalisme et le virus mafieux ont dix ans d’avance sur les économistes…Ils ont payé cette lucidité de vingt-quatre morts. » Pourtant, sept juges européens19 ont déclenché une révolution prometteuse en signant l’appel de Genève le 6 Octobre 1996. Ayant constaté que « la déclaration de Paris» de l’OCDE de 2001 n’était pas suivie de propositions concrètes des politiques, les juges italien Di Pietro, espagnol Garzon, chilien Guzman, suisse Bertossa et français Eva Joly organisent « la Déclaration de Paris » en juin 2003. Les propositions sont précises

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Joly E., Notre affaire à tous, Les arènes, 2000. Bernard Bertossa, Edmondo Bruti Liberati, Gherardo Colombo, Benoit Dejemeppe, Baltasar Garzon Real, Carlos Jimenez Villarejo, Renaud Van Ruymbeke. 19

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et efficaces mais demanderaient, entre autres, un changement profond des pratiques bancaires. Par exemple, pour appliquer « l'interdiction faite aux banques d'ouvrir des filiales ou d'accepter des fonds provenant d'établissements installés dans des pays ou des territoires qui refusent ou appliquent de manière purement virtuelle la coopération judiciaire internationale. », il faudrait que toutes les banques françaises ferment leurs filiales dans les paradis fiscaux. Toutes. Car elles en ont toutes. La justice se heurte à la réalité économique.

Par ailleurs, certains juges sont dénigrés par de nombreux médias. En France, par exemple, des journaux comme Libération et même un cinéaste comme Claude Chabrol dans son film « L’ivresse du pouvoir », se sont sentencieusement moqués de la juge Eva Joly. Le résultat est efficace : soutenus ni par les politiques ni par les médias, les juges des affaires concernant les mafias et la corruption rendent un à un leur tablier. Eva Joly, par exemple, est repartie, fermant une dernière fois la lumière de son bureau sans un pot d’adieu ni un message de remerciement. Et pourtant, beaucoup de travail restait à faire pour élucider la valse mystérieuse des virements. Revenant sur l’affaire Elf, Madame Joly estimait que20 « le dossier contenait des charges accablantes, puisque des peines de prison et d’amende significatives ont été prononcées, ce qui est rare en matière financière. Le dossier n’était donc pas vide, comme certains le disaient avant mon départ pour Oslo. Pour moi, cette page est tournée. J’ai eu la lucidité d’anticiper qu’on ne me ferait pas de cadeau après Elf. Je m’étais fait beaucoup d’ennemis en France, conclut Mme Joly, menacée de mort alors qu’elle instruisait ce dossier.» Une autre juge, Laurence Vichnievsky a fini par quitter les dossiers politico-financiers et demander à être nommée, en 2002, à la présidence du Tribunal de Grande Instance de Chartres tout en soulignant 21 «Comme le juge, l'élu sert l'intérêt commun. Il me semble qu'ils doivent, tous les deux, pouvoir vivre en bonne intelligence pourvu que chacun exerce son métier et simplement le sien, l'élu en votant la loi, le juge en l'appliquant, tous deux la respectant. » Le juge Renaud Van Ruymbeke est attaqué par des hommes politiques alors qu’il cherche à éclaircir des questions de corruption internationale22 « Mon problème, c'est de résoudre l'affaire des frégates de Taïwan, dans laquelle je cherche la trace de 500 millions de dollars de commissions, et où je me suis systématiquement heurté à des entraves, notamment au secret-défense …[]…La corruption internationale se porte bien. Dans ces dossiers à dimension internationale, on a l'omerta. Les juges

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Corruption, la France continue de se bercer d’illusion, AFP, 3 septembre 2006 sur http://www.interet-general.info Follorou J. et L. Vichnievsky, Sans instructions, Stock, 2002. 22 Guilbert N., Recueil de propos du juge Renaud Van Ruymbeke : "J'ai fait l'objet d'une décision politique orchestrée par le pouvoir", Le Monde, 3 février 2007. 21

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n'ont pas le droit d'aller voir : secret-défense. A un certain niveau, vous ne pouvez pas travailler. C'est la fin des affaires financières. Le système international est déjà beaucoup trop verrouillé. Si, en plus, on s'en prend au juge qui tente de remonter ces affaires, ce n'est plus la peine. »

2.4.4 Des journalistes Les politiques sont, pour le moins, inactifs et beaucoup de juges, démotivés, ont arrêté la lutte. Restent des citoyens pour continuer le combat. Parmi les journalistes d’investigation, Denis Robert23, qui a révélé les étranges pratiques de gestion des comptes chez Clearstream24, après avoir organisé la coopération des juges, est aujourd’hui brisé25 par une infinité de procédures judiciaires qui le harcèlent. Il témoigne : « Quand je servais de porte-voix et de porte-plume aux juges, il était plus difficile de m'attaquer frontalement. Garzón enseigne aux Etats-Unis. Dejemeppe est dans un placard à la Cour de cassation, Bertossa va diriger une juridiction d'appel, Van Ruymbeke aussi, Jiménez est à la retraite. Les juges de Genève ont vieilli et ont tous changé de fonction. L'appel de Genève a été un joli prêche dans le désert politique d'une Europe où les prédateurs financiers semblent avoir gagné la partie. Le paradoxe est que, si cette Europe judiciaire, pour laquelle je me suis battu, est parfaitement inefficace en matière de crime financier, elle fonctionne très bien quand il s'agit de me faire des procès ou de m'inculper pour diffamation. Dix ans se sont écoulés. Bon anniversaire Messieurs.» Denis Robert a été mis en examen pour « recel de vol et d’abus de confiance » car, dans son enquête journalistique, il a dû prendre connaissance de documents secrets. 200 visites d’huissiers à son domicile, 30 procédures judiciaires en cours : c’est la réponse de Clearstream et de ses banques clientes ou des autorités judiciaires françaises et luxembourgeoises aux révélations du journaliste écrivain. Au total, plus de six millions d’euros de dommages et intérêts cumulés lui sont ainsi réclamés. Sur 28 jugements rendus au 1er juin 2006, Clearstream26 et ses alliés n’ont obtenu que 3 euros en leur faveur alors qu’ils demandaient entre 100 et 300 000 euros par procédure. Pour le soutenir, une pétition signée par 13000 personnes circule : « Nous, citoyens européens, soutenons Denis Robert et condamnons l’acharnement des autorités judiciaires luxembourgeoises à son encontre. La liberté de

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Voir son blog http://www.ladominationdumonde.blogspot.com/ Organisme international de règlement des comptes entre les banques du monde entier basé au Luxembourg. 25 Robert D., « Les prédateurs ont gagné », Libération, 2 octobre 2006. 26 Source http://lesoutien.blogspot.com/ 24

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penser et d’écrire est une valeur européenne fondamentale qui prime sur les intérêts bancaires du Grand-Duché. ». Persécuter un journaliste est un bon moyen pour décourager les autres. 2.4.5 Et des citoyens La mafia et la corruption sont des drogues : elles rendent la vie facile à certains, enrichissent les paradis fiscaux et font envie par leurs mirages. 2000 milliards

réinvestis tous les ans, depuis

longtemps maintenant, c’est à peu près un quart de la richesse mondiale, un quart des entreprises mondiales. Peut-on oublier que ce sont des milliards sales ? Ce sont des pratiques mafieuses qui diffusent dans les entreprises, les gouvernements, les banques dont la moitié des bénéfices reposent sur le blanchiment et la gestion de fortune des mafieux. Sans prise de conscience des citoyens d’une priorité de la lutte contre les mafias, notre démocratie va être rapidement rongée et nos efforts sur l’écologie et le social sont voués à un échec. Que faire ? Exprimer notre opinion et soutenir ceux qui luttent contre les dérives mafieuses. Pour commencer, nous pouvons signer des pétitions. Nous pouvons exprimer notre soutien à la presse d’investigation, comme par exemple à Denis Robert27 et aux juges quand ils sont attaqués. Mais c’est insuffisant. Nous proposons trois modalités d’action, inspirées de propositions décrites dans l’annexe 3, trois mesures dont les citoyens peuvent demander l’application en relayant auprès des politiques lors des élections, afin qu’elles soient écrites dans leur programme et mises en œuvre après les élections. Il faut toucher les corrompus en limitant les activités des entreprises malhonnêtes. Il faut toucher les corrupteurs en éloignant les hommes politiques indélicats de la sphère des décisions publiques. Il faut permettre la révélation de l’acte de corruption. Première proposition : suspension de marchés publics pour l’entreprise condamnée pour avoir versé des pots-de-vin. Deuxième proposition : inéligibilité définitive des élus condamnés pour délits financiers. Troisième proposition : reconnaissance du droit d’alerte pour protéger du licenciement les salariés révélant des malversations dans leurs entreprises. Il faut se caler sur la Grande-Bretagne dont la loi “Public Interest Disclosure Act” (PIDA) de 1999 protége le dénonciateur des représailles de

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son employeur. Une loi similaire existe aux Etats-Unis, aux Pays-Bas, en Nouvelle-Zélande et en Afrique du Sud. Le système généralisé de corruption conduit les entreprises à passer outre les règles votées démocratiquement. Le Conseil de l’Europe affirme28 qu’ « il est possible que les lois et réglementations conçues pour protéger l’environnement aient contribué à augmenter les actes illicites en la matière. Tout d’abord, pour les entreprises, il est de plus en plus onéreux de se conformer aux normes nouvelles et elles s’efforcent donc de réduire ou d’éviter les frais supplémentaires, même si cela signifie être en infraction avec la loi. Les rapports de surveillance de l’environnement signalent des cas de « décharges sauvages » de matières ou déchets dangereux sur les bords des routes ou dans des terrains vagues. Ensuite, en matière d’infractions aux dispositions de protection de l’environnement, les contrevenants et leurs conseillers juridiques deviennent de plus en plus astucieux. Ainsi, certaines entreprises ont appris à cacher le fait qu’elles prennent part à des activités illégales en recourant à des intermédiaires et à des sociétés de couverture, tandis que certains avocats spécialisés dans la défense des contrevenants qui commettent ce type d’infractions sont d’anciens procureurs qui connaissent les lois et sont à même d’user d’artifices de procédures pour empêcher leur application. » Les conséquences pour une entreprise d’avoir été reconnue coupable de tricherie et de corruption dans un marché public ne doivent pas être uniquement financières mais conduire à son exclusion des futurs appels d’offre et ce, d’autant que les gros marchés publics concernent essentiellement les secteurs de la construction, de l’aéronautique et de l’énergie, domaines d’activité où peuvent se produire de façon majeure des dégâts humains et écologiques. L’homme politique qui redoutera de perdre son métier en devenant définitivement inéligible, résistera davantage à la facilité du clientélisme. Le salarié courageux qui ose témoigner des pratiques mafieuses de son entreprise a le droit d’être protégé et de ne pas perdre son emploi. La France n’est pas encore dotée d’une réglementation pour les donneurs d’alerte.

La mise en œuvre de ces trois mesures doit pouvoir être facilement vérifiée ou dénoncée par tout citoyen. C’est la garantie de leur efficacité.

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http://www.liberte-dinformer.info/60828.html Lutte de l'Europe contre la criminalité économique et le crime organisé transnational: progrès ou recul ? , Rapport du Conseil de l’Europe, 6 avril 2001. 28

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2.5 Pistes bibliographies

SAVOIR Sur les mafias et la justice : Joly E., Notre affaire à tous, Les arènes, 2000. De Maillard J., Un monde sans loi, Stock, 1998. En finir avec la criminalité économique et financière, ATAC/ Syndicat de la magistrature, 2002, Mille et une nuit, Fayard. Sur la corruption : Association Transparency international : http://www.transparency.org/ Taper « corruption » dans le moteur interne du site de Denis Touret, professeur de droit à l'université Paris XII. http://www.denistouret.fr/ de nombreux extraits de presse sur les personnes mises en examen sur http://www.denistouret.net/constit/nomsmots.html

AGIR contre la corruption (signer les pétitions, faites adhérer votre maire) : http://anticor.wordpress.com/ Aider le journaliste d’investigation Denis Robert : http://www.ladominationdumonde.blogspot.com/

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Annexe 1 - Affaires et politiques : le cas Berlusconi29 Silvio Berlusconi fonde en 1961 un holding immobilier, financé généralement par des comptes ouverts à Lugano, pour construire une ville nouvelle. Personne ne sait comment ces comptes étaient alimentés. Avec une fortune estimée en 2004 à 10 milliards de dollars, Berlusconi détient Mediaset, possède trois chaînes nationales et détient 66 % du marché publicitaire télévisuel. Le tableau 1 montre que son passage au pouvoir lui a permis d’éviter toute sanction et de conforter l’Italie comme havre de paix pour certaines pratiques illégitimes devenues parfois aujourd’hui légales30. Tableau 1 : Chronologie de dix ans de procédures… aucune sanction. 1994 : corruption de policiers (prescrit en appel). Accusé d'avoir versé des pots-de-vin à la brigade financière (Guardia di Finanza), M. Berlusconi est condamné en 1997 à 33 mois de prison. Relaxé en appel en 2000 (en partie pour prescription), il est innocenté en cassation en 2001. 1995 : faux en bilan (prescrit). Accusé d'avoir financé en partie avec des fonds d'une caisse noire l'achat du joueur de football Gianluigi Lentini pour son club, le Milan AC, il bénéficie de la prescription en novembre 2002, avec la loi dépénalisant partiellement le faux en bilan, votée par sa majorité au Parlement. 1995 : fraude fiscale (prescrit en appel). L'accusation de dissimulation fiscale dans l'acquisition d'une résidence, près de Milan, est annulée par la prescription, puis couverte par une loi d'amnistie. 1995 : faux en bilan et appropriation illicite (relaxé en appel). Accusé de faux en bilan et appropriation illicite lors de l'acquisition de la compagnie cinématographique Medusa, il est condamné à 16 mois de prison fin 1997. Sa relaxe en appel en 2000 est confirmée en cassation en 2001. 1995 : financement illicite (prescrit en appel). Accusé d'avoir financé le Parti socialiste italien à travers une société offshore, la All Iberian, il est condamné à 28 mois de prison en 1998. En cassation est confirmée en 2000 la prescription établie en appel en 1999. 1996 : faux en bilan (en cours). Pour un autre volet de l'affaire All Iberian. Non-lieu grâce à la nouvelle loi dépénalisant le faux bilan. 1996 : évasion fiscale (en cours). Poursuivi en Espagne pour évasion fiscale et infraction à la législation antitrust lors du rachat de la chaîne Telecinco. L'instruction a été suspendue en 2001.

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Certaines informations ont pour source : encyclopédie d’éthique, tome 1, Les mafias attaquent-elles le fonctionnement démocratique, Bornard Julie-Anne, Deleuze Noémie, Ganancia Didier, Kocakulah Aysegul sur http://perso.orange.fr/denis.dupre/ 30 Lire pour la différence entre légitimité et légalité : Verna G., Les ennemis de l’éthique, in Ethique et capitalisme (sous la direction de Denis Dupré), Economica, 2002.

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1998 : corruption de magistrat (prescrit en appel). Accusé de corruption de juge dans le rachat de la maison d'édition Mondadori, il bénéficie de la prescription en appel et de la relaxe en cassation en 2001 : « Cesare Previti est soupçonné d'avoir versé, en tant qu'avocat de Silvio Berlusconi, environ 400000 francs au juge rapporteur de la Cour d'appel qui a statué dans l'affaire Mondadori. Silvio Berlusconi a été tiré d'affaire par la Cour d'appel de Milan le 25 juin 2001. Il a bien corrompu le juge Vittorio Meta, ont tranché les magistrats, mais il bénéficie de circonstances atténuantes, de sorte que les faits sont prescrits. » (1) 2000 : corruption de magistrats (prescrit). Accusé de corruption simple de magistrats romains, il est relaxé en première instance, grâce à la prescription, en 2004 : « Un autre procès pour corruption d'un juge, également dans une affaire qui avait opposé, dans les années 1990, Silvio Berlusconi à Carlo De Benedetti. Une autre mise hors de cause au bénéfice de la prescription. Mais dans ce cas, le procès se poursuit en appel. Au cours de leur enquête, les juges ont mis en évidence un versement de 434000 dollars au juge Renato Squillante. Le jugement de première instance est tombé en décembre 2004. Il absout les inculpés sur la plus importante partie du dossier. S'agissant du versement de 434000 dollars, le tribunal considère que les faits, en raison de circonstances atténuantes, sont prescrits. » (1) 2003 : fraude fiscale (en cours). Il est soupçonné de fraude fiscale sur des achats et des ventes de droits cinématographiques par son groupe Mediaset. 2005 : corruption, faux témoignage (en cours). Il est soupçonné d’avoir versé 600.000 dollars, via sa société Fininvest,

à David Mills, témoin dans plusieurs procès précédents, en échange de faux

témoignage. 2008 : Le 22 juillet 2008 la loi votée par 171 sénateurs contre 128 est définitivement adoptée après le vote des députés intervenu le 10 juillet 2008. Cette loi permettra à Berlusconi, poursuivi une dizaine de fois mais jamais condamné définitivement, de ne plus être inquiété par les juges pendant la durée de son mandat de 5 ans. La mesure suspend son procès en cours à Milan, pour corruption de magistrats. Au total, Berlusconi a dénombré avoir été entendu 2.500 fois par la justice, reçu 587 visites de police et dépensé 174 millions d'euros pour se défendre durant sa carrière politique. Il a gagné tous les procès auxquels il a dû faire face, que ce soit par acquittement ou par prescription. Source : Silvio Berlusconi et et la justice italienne, Nouvelobs.com et AFP (1) Arsever S., Le roi des casseroles, Le temps, 5 avril 2006.

Berlusconi a été élu en 2001 et Francesco Saverio Borelli, procureur général de Milan, l’explique: «Nous avons perdu l’adhésion de la population quand nous avons commencé à pousser plus avant nos investigations. » Autrement dit, toute la classe moyenne dont Berlusconi est issu et qui érige la fraude fiscale en sport national voulait bien voir tomber les têtes du système, mais ne voyait pas d’un bon œil une opération « mains propres » qui s’immiscerait dans ses petites combines locales. 21

Une fois au pouvoir, Berlusconi tente de s’accorder l’immunité. « Dans un pays civilisé, les juges ne doivent pas pouvoir mener de procès contre les gouvernants », avait lancé le ministre de la Justice. En 2003, Berlusconi exprime, dans un article publié par la Voce di Rimini, sa haine de la justice et des juges car, selon lui, « pour faire ce travail, il faut être mentalement dérangé et s'ils le font, c'est parce qu'ils sont anthropologiquement différents du reste de la race humaine ». Pour durer malgré tous les procès31, « il a fallu rendre les lois plus accommodantes, les modifier, en inventer de nouvelles. Silvio Berlusconi s'y est employé, en se défendant de ne songer qu'à ses propres intérêts. Le Parlement a suivi. Loi autorisant le retour au pays des capitaux exportés illégalement, loi dépénalisant les faux bilans, loi compliquant les commissions rogatoires entre la Suisse et l'Italie, loi introduisant la notion de «soupçon légitime» envers les juges... ». Le mythe de sa persécution est soutenue par l’opinion publique et par le fait qu’il n’est jamais condamné. En effet32, « défendu par un bataillon d'avocats, Silvio Berlusconi a toujours réussi à se soustraire aux poursuites engagées contre lui. Une batterie de lois judicieusement votées sous sa présidence du conseil a contribué à son impunité. Des textes ont dépénalisé les faux bilans, prescrit d'anciennes poursuites et introduit la notion de soupçon légitime envers les juges. S'estimant martyrisé par des fous dangereux, Berlusconi tenait à se mettre à l'abri de personnes "anthropologiquement différentes du reste de la race humaine". » La loi de 2003 accordant l'immunité aux cinq plus hauts responsables de l'Etat fut, néanmoins, invalidée par le Conseil constitutionnel. Le clan a donc dû utiliser des moyens détournés pour obtenir l’immunité. Une des premières lois adoptées par le deuxième gouvernement Berlusconi a consisté à dépénaliser le délit de faux en écriture33 : « des milliers de procédures en cours, pour recyclage d'argent sale, trafics divers, pédophilie, pourraient être annulées ». Divine surprise, l’accusation portée sur une double comptabilité pour la Fininvest à travers 64 sociétés offshores et la création d’une caisse noire de 750 millions d'euros se conclut alors par un non-lieu ! Le gouvernement a révisé dans un sens restrictif la coopération avec la Suisse. Désormais, la quasi-totalité des documents bancaires fournis par le ministère de la Justice helvétique sont inutilisables dans les procès italiens. « Il s'agit d'une loi qui n'a rien à voir avec le droit et est destinée à sauver différentes personnes du gouvernement italien

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Fauvet-Mycia C., « Berlusconi et les juges : exaspération réciproque », Le Figaro, 15 octobre 2007. Oberlé T., « Les juges italiens n’ont plus la faveur de l’opinion publique », Le Figaro, 7 avril 2008. 33 Demetz J.M., « Berlusconi fait sa loi », L’Express, 18 octobre 2001. 32

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», a déclaré Bernard Bertossa34, le procureur général de Genève. Heureux hasard : la plupart des documents concernant l'enquête sur les fonds secrets de la Fininvest viennent de Suisse. Enfin, le gouvernement a adopté une loi intitulée « bouclier fiscal » qui autorise le rapatriement des capitaux exportés illégalement avec une très raisonnable pénalité de 2,5 % des sommes détournées. La Fininvest en a-t-elle bénéficié ? Le fisc refuse de le dire, mais plusieurs procès en cours sont fondés sur le soupçon de l'existence de nombreuses caisses noires à l'étranger. En outre, une généreuse amnistie fiscale adoptée prévoit une régularisation des contribuables, personnes privées ou sociétés, en échange du versement de 10 % de l'impôt non acquitté. Etre élu Président, puis régler par la loi ses problèmes personnels est une pratique, longtemps pensée comme celle de dictatures lointaines, mais elle semble trouver aujourd’hui des ramifications en Europe, dans nos vieilles « démocraties ».

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Dunglas D., « Les ficelles de Berlusconi », Le Point, 23 juin 2003.

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Annexe 2 : La SCI : un outil désigné pour les pratiques troubles Le mécanisme d’achat de bien immobilier via une Société Civile immobilière (SCI) est parfait pour acheter en tout anonymat35 : « En France, le système de représentation fiscale permet de ne pas déclarer que vous êtes propriétaire d’un immeuble : il vous suffit d’acquitter un impôt forfaitaire de 3 % de la valeur du bien et l’on ne cherche pas à connaître votre nom. » Une SCI peut se constituer avec des hommes de paille ; les cessions de parts qui se déroulent ensuite sont des cessions anonymes. Le cédant inscrit son nom, le cessionnaire est en blanc, on lui remet le document et les virements se font par des paradis fiscaux. Ce mécanisme ne permet aucun contrôle ultérieur36 : « Des immeubles de plusieurs millions de francs sont ainsi cédés sur la Croisette, la Promenade des Anglais ou les Champs-Elysées. Ces mécanismes de blanchiment sont de surcroît source de fraude fiscale puisque aucun droit n’est perçu alors que des millions de francs sont transmis et de détournement de la loi car, dans ce cas, il est fait fi des droits de préemption des collectivités, des locataires, et de la législation immobilière concernant la superficie, l’amiante, etc. » Le citoyen peut s’inquiéter d’une utilisation de ce mécanisme par des mafias russes qui possèdent déjà une partie de la Côte d’Azur. Mais que penser des notables locaux qui utilisent ces pratiques ? En effet,37 : « Il n'y a pas une personne qui compte dans la région qui soit propriétaire du bien immobilier où elle vit. Tout cela est toujours masqué derrière une société, une Anstalt, un trust ou une société fiduciaire en Suisse. Le premier obstacle est que l'on ne peut plus identifier… les propriétaires des biens immobiliers » La propriété via une SCI devrait être nominative. Juridiquement, cela revient à soumettre à un acte authentique la constitution des SCI, ainsi que toute modification ultérieure survenant dans la vie de ces sociétés et, notamment, les cessions de parts. L’acte notarié pourrait viser, outre l’identité des parties, le nom de la banque et le numéro du compte utilisé pour l’opération. Ceci a fait l’objet d’un amendement lors de la discussion de la loi NRE38 de mai 2001 qui stipulait: « À défaut d'être passées par acte authentique, les cessions de droits sociaux visées au présent article sont frappées de nullité.». Cette proposition n’a pas été adoptée. En avez-vous parlé avec votre député ?

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Extrait de l’audition de Mme Eva Joly, juge d’instruction, devant la Mission, le 9 mai 2000. Rapport d'information n° 2311 de MM. Vincent Peillon et Arnaud Montebourg, déposé en application de l'article 145 du Règlement par la mission d'information commune sur les obstacles au contrôle et à la répression de la délinquance financière et du blanchiment des capitaux en Europe disponible sur http://www.assemblee-nationale.fr/11/dossiers/blanchiment.asp 36

Extrait de l’audition de M. Jean-Paul Decorps du 27 octobre 1999.

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Extrait de l’audition de M. Philippe Dorcet, juge d’instruction au Tribunal de grande instance de Nice, devant la Mission, le 9 mai 2001.

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Annexe 3 : Les déclarations de lutte contre les mafias par l’OCDE ou les juges 1996, les juges européens osent dénoncer… 2002, les politiques européens reprennent les propositions des juges suite aux actes terroristes du 11 septembre 2001… 2003, les juges rappellent que l’appel des politiques s’est enlisé…une sorte de testament ! Juges :Appel de Genève (Extraits) 1996. … C'est l'Europe des paradis fiscaux qui prospère sans vergogne … Cette Europe des comptes à numéro et des lessiveuses à billets est utilisée pour recycler l'argent de la drogue, du terrorisme, des sectes, de la corruption et des activités mafieuses. Les circuits occultes (sont) empruntés par les organisations délinquantes … certaines personnalités et certains partis politiques ont eux-mêmes, à diverses occasions, profité de ces circuits. L’argent est placé ou investi hors de tout contrôle. L'impunité est aujourd'hui quasi assurée aux fraudeurs. Des années seront en effet nécessaires à la justice de chacun des pays européens pour retrouver la trace de cet argent, quand cela ne s'avérera pas impossible dans le cadre légal actuel. Il devient nécessaire d'instaurer un véritable espace judiciaire européen : - garantissant la levée du secret bancaire lors de demandes d'entraide internationale en matière pénale émanant des autorités judiciaires des différents pays signataires; - permettant à tout juge européen de s'adresser directement à tout autre juge européen; - incluant …la création d'une nouvelle incrimination d'“ escroquerie fiscale ” pour les cas où la fraude porte sur un montant significatif. Il en va de l'avenir de la démocratie en Europe et la véritable garantie des droits du citoyen est à ce prix. * Convention signée par les États membres du Conseil de I'Europe mais non contresignée par les parlements des pays concernés, elle n'est donc pas appliquée.

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NRE : nouvelles régulations économiques. Loi sur la gouvernance d’entreprise de 2001.

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OCDE : Déclaration de Paris contre le blanchiment (Extraits) 2002. Déclaration finale de la Conférence des Parlements de l’Union européenne contre le blanchiment du 8 février 2002. PRÉAMBULE Le blanchiment des capitaux d’origine criminelle et la délinquance financière représentent une menace directe pour la stabilité de l’économie globale mais aussi pour la sécurité de nos sociétés démocratiques. La persistance de mécanismes juridiques qui entretiennent l’opacité des transactions financières, l’utilisation des " trous noirs " du système financier international, les carences de la coopération entre les États membres de l’Union européenne, ne peuvent plus être tolérées. Thème n° 1 : La transparence des mouvements de capitaux Une lutte efficace impose de pouvoir reconstituer l’historique des mouvements de capitaux. La traçabilité des opérations et des donneurs d’ordre est donc un objectif prioritaire mais elle se heurte à plusieurs obstacles dont l’opacité de certaines entités juridiques (fiducies, fondations etc.) et des comptes anonymes et l’opposabilité aux enquêteurs de différents secrets professionnels dont le secret bancaire. Propositions : Réglementer la forme des fiducies (documentation normalisée, interdiction de clauses " suspectes ") Harmoniser les procédures de levée des secrets professionnels. Généraliser l’accès aux informations détenues par les organismes financiers. Créer un registre central des comptes bancaires. Thème n° 2 : Les sanctions contre les pays et territoires non coopératifs L’identification dans la lutte contre le blanchiment relève du GAFI dont les 40 recommandations constituent le standard de référence. Ce processus doit garantir une évaluation objective. Propositions : Assortir de conditions, ou interdire les opérations avec des particuliers ou entités situés dans ces pays. Interdire aux établissements de l’Union européenne d’ouvrir des filiales dans ces pays ou d’y détenir des comptes de correspondants. Thème n° 3 : La coopération judiciaire, policière et administrative La lutte contre le blanchiment et la délinquance financière passe nécessairement par la coopération transfrontalière, judiciaire, policière et administrative Propositions : Développer les échanges d’information entre les unités du renseignement financier. Renforcer la cohérence des conventions internationales destinées à faciliter la coopération judiciaire. Veiller à l’application rapide du mandat d’arrêt européen. Consolider le caractère opérationnel d’Eurojust en lui permettant, au-delà de l’échange d’information, de demander aux autorités nationales compétentes de déclencher et d’exercer des poursuites. Thème n° 4 : Les règles prudentielles L’élargissement du contrôle et de la régulation financière devrait porter sur l’ensemble des prestataires de services financiers ou juridiques mais aussi sur les réseaux internationaux, qu’ils soient traditionnels et informels (de type " Hawala ") ou, au contraire, très intégrés aux marchés internationaux de capitaux (remise de fonds, compensation, virements interbancaires). Propositions : Limiter les paiements en espèces au-delà d’un certain montant. Renforcer le contrôle, au besoin sur un plan international, des activités des sociétés de compensation et de règlement-livraison de fonds et de titres. Assortir de sanctions pénales le manquement manifeste à leurs obligations de vigilance des professions qui y sont soumises. Juges : Déclaration de Paris (Extraits) 2003. 26

Nous dénonçons les effets dévastateurs de la grande corruption, avec son corollaire, l'impunité. Les activités les plus sensibles sont l'énergie, les grands travaux, l'armement, l'aéronautique et l'exploitation des ressources minières. Ainsi, plusieurs milliers de décisionnaires à travers le monde échappent à tout contrôle. La grande corruption bénéficie de la complicité de banques occidentales. Elle utilise le circuit des sociétés offshores. Elle profite de la soixantaine de territoires ou d'Etats qui lui servent d'abri. Elle favorise la constitution de caisses noires ou de rémunérations parallèles à la tête des grandes entreprises. Parce qu'elle a atteint parfois le cœur du pouvoir, la grande corruption mine les vieilles démocraties occidentales Alors que la globalisation a permis la libre circulation des capitaux, les justices financières restent tenues par des frontières qui n'existent plus pour les délinquants. La souveraineté de certains Etats bancaires protège, de manière délibérée, l'opacité des flux criminels. Logiquement, les bénéficiaires de la grande corruption ne font rien pour améliorer la situation. Plutôt que d'espérer une vaine réforme de ces Etats, il est possible d'inventer de nouvelles règles pour nous-mêmes. Aussi nous demandons : 1. Pour faciliter les enquêtes : La suspension des immunités le temps des enquêtes financières. La suppression des recours contre la transmission de preuves aux juridictions étrangères. L’interdiction faite aux banques d'ouvrir des filiales ou d'accepter des fonds provenant d'établissements installés dans des pays qui refusent, ou appliquent de manière purement virtuelle, la coopération judiciaire internationale. L'obligation faite à tous les systèmes de transferts de fonds ou de valeurs, ainsi qu'aux chambres de compensations internationales, d'organiser une traçabilité totale des flux financiers, comportant l'identification précise des bénéficiaires et des donneurs d'ordre. 2. Pour juger effectivement les délinquants : L'obligation légale faite aux dirigeants politiquement exposés de justifier l'origine licite de leur fortune. La création d'un crime de " grande corruption ", passible d'une peine similaire à celles prévues contre les atteintes aux intérêts fondamentaux de la nation. 3. Pour prévenir la grande corruption : L’obligation faite aux sociétés cotées de déclarer dans leurs comptes consolidés, pays par pays, les revenus nets (impôts, royalties, dividendes, bonus, etc.), qu'elles payent aux gouvernements et aux sociétés publiques des pays dans lesquels elles opèrent.. La compétence donnée à la Justice du pays où est établi le siège social des sociétés multinationales lorsqu'une de leurs filiales à l'étranger est suspectée d'un délit de corruption, et que le pays où est commis le délit ne peut pas, ou ne souhaite pas, poursuivre l'affaire. La mise en place d'une veille bancaire autour de dirigeants politiquement exposés et de leur entourage. Les portefeuilles de titres et les comptes bancaires des dirigeants politiquement exposés ainsi que ceux de leur famille proche, ouverts dans leur pays où à l'étranger, seront soumis à une procédure d'alerte lors de tout mouvement important, avec l'instauration d'une obligation pénale de signalement pour les cadres bancaires et les gestionnaires de titres.

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Section 3 – L’outil des paradis fiscaux L’aveuglement est dorénavant synonyme d’hypocrisie. Si elle devait encore durer, l’absence de réaction deviendrait complicité et il ne resterait au juge qu’à se démettre et au citoyen à confier sa défense à des démagogues et à des gourous, sur les cendres de la démocratie. Bernard Bertossa, Procureur général de Genève.39

Le juge Jean de Maillard, vice-président du tribunal de grande instance d’Orléans, explique que la lutte contre l’économie criminelle ne doit paradoxalement pas être trop radicale car « l’économie criminelle représente aujourd’hui une part considérable de l’économie globale. Elle fait vivre aussi l’économie légale. Quoi qu’on prétende, il est indispensable de la ménager si l’on veut éviter que tout l’édifice s’écroule. En bref, l’économie « légale » s’est criminalisée, l’économie criminelle s’est donné l’apparence de la légalité, et les paradis bancaires et fiscaux sont au cœur du dispositif où se concoctent ces étranges mutations croisées. » Plus de la moitié des flux financiers internationaux transite par des paradis fiscaux ! Les faillites frauduleuses d’entreprises se sont multipliées (Enron, Parmalat et Worldcom) et font apparaître qu’il existe une pratique répandue du mensonge dans l’information financière et du trucage des comptes. Bien souvent ces pratiques comptables ne sont pas même formellement interdites bien qu’étant destinées à masquer l’état de l’entreprise. Ainsi l’utilisation des filiales dans les paradis fiscaux pour cacher certaines réalités est massive40 : « Enron a eu 881 filiales offshores, 692 aux Iles Caïman, 119 dans les îles Turks et Caïcos, 43 aux îles Maurice et 8 aux Bermudes. Enron n’a aucun bureau dans les Iles Cayman, mais la boîte postale 1350 a reçu du courrier pour environ 500 filiales d’Enron. ». Vous-même, lecteur, en quelques minutes, vous pouvez ouvrir un compte dans un paradis fiscal sur Internet ! Stopper les paradis fiscaux, c’est changer le quotidien des entreprises et des citoyens qui cherchent à minimiser l’impôt. Pour inverser la tendance, il faudrait une raison majeure. Il n’y en a qu’une : croire que l’expansion des mafias nous conduit à notre perte et comprendre que la lutte contre

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Bernard Bertossa B., « Après l’aveuglement et l’hypocrisie, la complicité ? »In Un monde sans loi, de Maillard J., Stock, 1998. 40 Lucy Komisar, journaliste indépendante, USA, forum de Genève Attac, le 28 mars 2004, Genève sur http://www.suisse.attac.org/Paradis-Fiscaux-comment-les-Etats

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les paradis fiscaux est l’outil principal de lutte contre les mafias car le point de départ pour assurer une traçabilité de l’argent.

3.1 L’expansion financière L’expansion financière de l’argent sale peut être mesurée par les comptes des nations car41 : « en toute logique, l’ensemble des échanges internationaux devrait s’équilibrer : ce que les uns achètent, les autres le vendent et réciproquement. Pourtant, entre 1989 et 1998, 1000 milliards de dollars se sont encore évanouis des comptes de la planète … Ce trou noir montre le rapprochement entre l’économie criminelle et l’économie légale, notamment grâce au développement des paradis bancaires et fiscaux. », L’expansion financière doit être mesurée sous deux aspects : les montants stockés dans les paradis fiscaux eux-mêmes et les flux financiers transitant par ces paradis fiscaux.

3.1.1 L’argent dans les paradis fiscaux Il est difficile de chiffrer une économie qui veut, par nature, rester discrète. Cependant, les chiffres en 2000 sont conséquents42 : « L'ensemble des paradis financiers draine plus de la moitié (54,2 %) des avoirs détenus hors-frontières, pour un total de plus de 5 000 milliards de dollars. Plus de 4 000 banques offshore y sont installées, et on y compte également plus de 2,4 millions de sociétésécrans ! » Le nombre de ces paradis fiscaux a explosé dans les dernières décennies. Il en existe une cinquantaine selon la définition d’ATTAC43. Ce sont souvent des territoires minuscules rattachés à de grands pays (Etats-Unis, France, Angleterre..) qui utilisent ainsi le principe de « un pays, deux systèmes » : un système fiscal rigide pour le commun et un dérogatoire pour certains. Ce sont donc bien les grandes démocraties qui soutiennent l’essor de ces paradis fiscaux. Prenons comme exemple, juste pour

41

De Maillard J., Un monde sans loi, Stock, 1998. Extrait de la contribution de M. Jean-François Thony - « La problématique « offshore » in rapport moral sur l'argent dans le monde en 2001, p. 302 et 303 d’après mission parlementaire, Vincent Peillon et Arnaud Montebourg, 2001, « les obstacles au contrôle et à la répression de la délinquance financière et du blanchiment des capitaux en Europe » disponible sur le site de l’Assemblée Nationale http://www.assemblee-nationale.fr/rap-info/i2311-51.asp (Tome I) et http://www.assembleenationale.fr/rap-info/i2311-611.asp (Tome II) 43 ATTAC est le principal acteur associatif qui dénonce les paradis fiscaux. 42

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matérialiser notre propos, les îles Caïmans rattachées à la couronne britannique44 : « Les îles forment un archipel de trois îles dans la mer des Caraïbes servirent de refuge pour les pirates, déserteurs et autres aventuriers. Les îles Caïmans devinrent la propriété de la Couronne britannique en vertu du traité de Madrid (1670). Selon la légende, les Caïmaniens auraient, en 1788, sauvé un équipage britannique d'un convoi de navires marchands qui avaient heurté un récif à Gun Bay; ils auraient été récompensés par la promesse du roi Georges III de ne jamais plus les soumettre à un impôt. Ce serait depuis cette époque que les îles Caïmans jouiraient de la renommée de «paradis fiscal» : il n'existe pas d'impôt sur le revenu, pas d'impôt sur les sociétés, ni de taxe sur les gains de capitaux, ni de retenues fiscales ni de droits successoraux. C'est pourquoi plus de 40 000 compagnies, y compris 600 banques et fiducies, sont officiellement enregistrées dans ce petit pays. Ce type de paradis fiscal est caractérisé par le blanchiment de l'argent sale à grande échelle.» 3.1.2 L’argent passé par les paradis fiscaux L’argent n’a pas pour vocation de rester dans les paradis fiscaux mais va s’investir en bourse dans les différents marchés. On estime aujourd’hui que plus de la moitié de l’argent s’investissant en bourse passe par des comptes de paradis fiscaux. Le Produit Criminel Brut mondial est estimé, en 2003, à 1000 milliards de dollars45. Le prix de la drogue vendue est 25 000 fois celui du prix d’achat au paysan pakistanais46. Ce grand écart entre prix de revient et prix de vente explique que des sommes importantes sont à blanchir et sur les lieux de production et sur les lieux de consommation par les mafias qui gèrent le trafic. L’encadré 1 démontre comment 900 millions de la vente de drogue au Nicaragua peuvent se retrouver investis dans une entreprise ordinaire espagnole après avoir transité par une banque dans le paradis fiscal des Bahamas.

Encadré 1 : Investir en Europe via les Bahamas Une organisation criminelle américaine détient un holding aux Pays-Bas. Ce holding détient de nombreuses filiales. L’organisation veut blanchir 900 millions € de la vente de drogue au Nicaragua.

44

Jacques Leclerc, «Iles Caiman» dans L’aménagement linguistique dans le monde, Québec, TLFQ, Université Laval, [http://www.tlfq.ulaval.ca/axl/amsudant/caimanes.htm], (3 décembre 2006) 45 François L., Chaigneau P. et M. Chesney, La criminalité financière, Editions d'Organisation, 2003 46 Conflits, drogues et activités mafieuses, Contribution aux travaux préparatoires de la conférence de La Haye sur la Paix, Parlement du Canada, 16 mai 1999, sur http://www.parl.gc.ca/37/1/parlbus/commbus/senate/com-f/ille-f/presentationf/labrousse2-f.htm

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1 Elle dépose cet argent dans une banque des Bahamas (qu’elle contrôle intégralement car chacune des filiales étrangères du holding des Pays-Bas détient une partie de la banque des Bahamas). 2 Le holding hollandais crée un holding en France en apportant 50,1 millions € alors qu’une banque en Floride, faisant partie des filiales du groupe criminel américain, prête 49,9 millions €. 3 Ce holding emprunte 900 millions € à la banque des Bahamas. 4 Avec ce milliard d’euros, le holding français achète une entreprise espagnole. Le blanchiment correspond à l’investissement dans une entreprise espagnole classique qui transforme l’argent sale en dividendes de la filiale espagnole, versés au holding français.

Source : De Maillard J., Un monde sans loi, Stock, 1998.

L’argent sale n’a le plus souvent vocation qu’à transiter dans les paradis fiscaux pour acheter entreprises, banques, immobiliers, matières premières dans le monde entier.

3.2 Les utilisateurs Les utilisateurs ont un intérêt collectif à conserver les règles de secret et de non-transparence de ces lieux. Aussi peut-on croiser chez le même avocat, banquier ou fiscaliste, à Paris, New-York ou Genève un trafiquant de drogue, un directeur financier d’une grande entreprise, un homme politique corrompu et un grand médecin pratiquant des dessous-de-table. Ils viennent tous faire gérer les comptes ou sociétés qu’ils ouvrent de plus en plus aisément, comme par Internet, dans les mêmes paradis fiscaux comme les Iles Caïmans (qui ne figurent pas sur la liste de l’OCDE !), Monaco ou Andorre. Pour se rendre compte de la facilité d’ouvrir un compte dans le paradis fiscal de son choix avec Internet, il suffit de taper sous un moteur de recherche la phrase47 : « Comment ouvrir un compte dans un paradis fiscal ? ». Nous allons voir pourquoi. Plus étonnant : nous-mêmes sommes contraints, à notre insu, de bénéficier indirectement de ces paradis fiscaux ! 3.2.1 Les trafiquants Les techniques de blanchiment sont multiples. Pour des sommes peu importantes, les trafiquants de drogue du Nicaragua arrivent en avion sur de petits aéroports des Bahamas et viennent déposer des mallettes de billets dans des banques locales. D’autres techniques existent, dont les plus anciennes sont

47

Dans la liste, vous trouverez également des escrocs qui ramasseront vos virements sur leur compte.

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liées à l’environnement traditionnel des voyous comme celui des casinos. Dans ces derniers, il suffit de racheter aux joueurs leurs billets gagnants en leur versant en liquide une somme légèrement supérieure. En encaissant le gain auprès du casino, l’argent sale devient l’argent propre de la chance. Dès les années 1980, des techniques internationales plus sophistiquées comme celle de l’encadré 2, utilisant les paradis fiscaux et ne nécessitant aucun déplacement, vont servir pour blanchir l’argent de la drogue. Encadré 2 : La classification de Jurado Franklin Jurado a mis sa méthode au point dans les années 80, pour blanchir les fonds du cartel de Cali. Elle répondait à une partie du problème posé aux trafiquants colombiens : comment rendre les fonds criminels de plus en plus respectables ? Il avait découpé le processus en deux étapes : La kennedyfication, qui est le blanchiment proprement dit (Joseph Kennedy avait fait fortune avec le trafic d’alcool, son fils fut ensuite président des Etats-Unis) au cours duquel l’argent doit devenir de plus en plus honorable. La sanctification qui lui permet de revenir en odeur de sainteté et non plus de mafia. Jurado avait aussi de l’humour… 1. De Colombie, l’argent est placé dans un paradis fiscal. 2. L’argent est viré sur le compte de Jorge Perez en Allemagne 3. D’Allemagne, l’argent est viré sur un compte Ruiz à Monaco 4. Ruiz effectue des virements vers des comptes de société en Suisse et au Luxembourg 5. L’argent est viré sur un compte à pseudonyme en Autriche 6. L’argent est réintégré en Colombie par des sociétés de droit européen sous forme d’investissement industriel. Ces sociétés sont en fait contrôlées par les membres du cartel. Source : De Maillard J., Un monde sans loi, Stock, 1998.

3.2.2 Les entreprises Si les trafiquants sont, par nature, dans les lieux sombres de la finance, la présence des entreprises est plus étonnante. L’expansion date des années 80 pour devenir aujourd’hui une technique de gestion indispensable et ouvertement pratiquée. En deux décennies, le paradis fiscal est passé pour toutes les entreprises d’une pratique immorale à une mode nécessaire à la survie dans un « environnement compétitif ».

Aux Etats-Unis, dès 1977, après le scandale Lockheed, une loi, le Federal Corrupt Practices Act, rendait pénalement responsable tout acte de corruption d'un officiel étranger. L’Europe, elle, ne s’est 32

pas dotée d’une telle législation. Aussi, pour rester concurrentiel, le gouvernement américain a aidé les exportations en favorisant l'installation des entreprises dans des paradis fiscaux. Ces filiales, baptisées Foreigns Sales Corporations (FSC), étaient subventionnées et servaient de caisses noires pour les versements de commissions à l'étranger. Le paradis fiscal est devenu l’outil incontournable des entreprises américaines pour verser les pots-de-vins indispensables à l’obtention des marchés à l’étranger (armement, énergie, travaux publics…).

En utilisant les paradis fiscaux, les directions d’entreprises ont compris comment échapper à l’impôt et même au contrôle de leurs actionnaires. Très vite, les directions financières des grands groupes ont réalisé que ces filiales pouvaient leur permettre d’échapper à l’impôt par une technique simple : lorsqu'une société exporte, elle vend fictivement sa marchandise ou ses services à un coût réduit à sa filiale qui, à son tour, la revend au client final à un coût majoré. Ce mécanisme des prix de transfert permet à toutes les multinationales d’échapper pratiquement à l’impôt en localisant les plus-values dans les paradis fiscaux (voir annexe 2).

Puis, les directions financières des grands groupes ont vu que ces filiales pouvaient leur permettre d’échapper au contrôle de leurs actionnaires. Au niveau des entreprises, la comptabilité créative a ainsi parfois supplanté la comptabilité ordinaire comme dans le cas extrême d’ENRON qui a pratiqué, tantôt une comptabilité mensongère, et tantôt une comptabilité légale mais cachant les risques aux actionnaires (ce qu’on appelle pudiquement « comptabilité créative »). L’encadré 3 expose 3 exemples de ce type de comptabilité : Encadré 3 : Exemple de Comptabilité à la ENRON Exemple 1 : Raptor (comptabilité mensongère) Lorsqu' Enron réalisait un investissement à l’étranger, il inscrivait un profit immédiat dans ses comptes. Pour protéger ce profit, Enron créait des Trusts appelés Raptor. Enron apportait à ces entités des actions et des stock-options Enron. En contrepartie les Trusts garantissaient à Enron la valeur de l'investissement affichée. Les Raptors étaient présentés comme des entités indépendantes (comptabilité mensongère) protégeant donc Enron par un produit dérivé. La baisse des actions d'Enron a bien entendu rendu sans valeur l'engagement des Raptors.

Exemple 2 : une non consolidation des filiales (comptabilité créative)

33

Aux Etats-Unis, la Loi dit qu'une entreprise sort du périmètre de consolidation de sa maison mère lorsque plus de 3% du capital est détenu par une entité ou une personne physique autre. Le directeur financier d'Enron, a souvent détenu cette quote-part de 3%. Les comptes consolidés ne reprenaient pas les éléments de la filiale dont elle possédait 97%, ce qui donnait une image fausse des bilans.

Exemple 3 : des prêts déguisés en ventes (comptabilité créative) Enron avait besoin d’emprunter à son banquier, JP Morgan. Elle pouvait le faire directement mais montrait alors dans son bilan que son endettement augmentait, ce qui aurait fait baisser son cours de bourse. Elle possédait des sites gaziers. Elle s’arrangeait avec une société amie pour signer un contrat de vente à terme de gaz naturel (donc du gaz produit dans le futur) en exigeant le paiement du montant de la vente à terme dès signature du contrat. Enron traitait sur le plan comptable les opérations comme des ventes. Cela augmentait son chiffre d'affaires et donc le cours de bourse montait. En fait, les fonds étaient mis à disposition de la société amie par J.P. Morgan, un des banquiers d'Enron. Un contrat d'assurance48 permettait au banquier d'être certain du remboursement en cas de non réalisation du contrat. Dans un second temps, la société amie revendait le gaz à Enron au prix défini. Enron recevait donc un montant immédiat et payait ultérieurement les montants convenus dans le contrat : il s’agit donc bien d’un prêt déguisé ! En 2003, JP Morgan acceptera une amende de 135 millions de $ du gendarme de la bourse américaine49. Alors que les comptes d'Enron étaient falsifiés et que ses dirigeants opéraient des malversations, l'auditeur du groupe (le commissaire aux comptes), le cabinet Arthur Andersen, certifiait sans sourciller cette comptabilité. Le cas Enron aurait pu servir de leçon pour limiter la présence des entreprises dans les paradis fiscaux. En réalité, les conséquences ont été inverses et les commissaires aux comptes ont décidé de s’implanter eux-mêmes dans ces paradis fiscaux ! (voir annexe 2). Outre le fait que la puissance de lobbying des entreprises auprès des politiques rend évidemment difficile un démantèlement des paradis fiscaux, indispensable au ralentissement des trafics criminels, les effets néfastes de la présence des entreprises dans les paradis fiscaux sont de trois ordres : la diminution des assiettes fiscales, le renforcement des paradis fiscaux, la difficulté majeure pour les analystes financiers d’estimer le risque réel des entreprises. C’est cette dernière problématique qui a fait réagir les autorités américaines, avec la loi Sarbanes-Oxley votée en 2002. Cette loi rend passibles

48

Après la faillite d’Enron, les sociétés d’assurance ont refusé de payer JP Morgan pour tromperie : les couvertures des "opérations commerciales" étaient en fait des prêts 49 Voir jugement sur http://www.sec.gov/litigation/litreleases/lr18252.htm

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de justice les dirigeants dont les comptes sont faux. Malheureusement, cette loi ne concerne pas les deux points précédents. Tromper les actionnaires est ainsi passible de prison, tromper les citoyens ne l’est toujours pas. 3.2.3 Les contribuables Les contribuables du monde ont trouvé la voie des paradis fiscaux grande ouverte par les entreprises. Par exemple, en Suisse, l'évasion fiscale n'est pas un crime. La loi ne permet pas à l'Etat de faire passer l'information aux pays tiers. Les fraudes fiscales des contribuables ont un double impact. Elles réduisent non seulement l’assiette fiscale du pays mais fait plus grave, contribuent à l’inertie qu’ont rencontrée les juges lorsqu’ils ont proposé des mesures contre ces paradis fiscaux. 3.2.4 Nous tous ? Qui n’est pas utilisateur des paradis fiscaux ? Personne. Pas même le citoyen lambda qui n’a que quelques économies légalement gagnées et sagement épargnées. Il y a encore quelque temps, chacun d’entre nous pouvait éviter de placer son argent dans une banque ayant une filiale dans un paradis fiscal en optant pour la Poste ou le Crédit Coopératif. Aujourd’hui, par le jeu des « intégrations », aucun organisme français ne nous en laisse la possibilité, comme nous le montre l’encadré 3.

Encadré 3 : Implantation des groupes bancaires dans les paradis financiers50 Banque Martin Maurel Banque Nationale de Paris-Paribas inclut Cortal, Banque de Bretagne, Banque Directe, UCB…

Banques Populaires (groupe des) inclut Natexis, Bred, CASDEN, Crédit Coopératif, ..) Caisse d’Epargne Compagnie Financière Edmond de Rothschild Crédit Agricole groupe Crédit AgricoleCrédit Lyonnais (voir ci-dessous Crédit Lyonnais) inclut Indosuez, SOFINCO Crédit Commercial de France (filiale de HSBC , banque anglaise implantée dans 24

Monaco Bahamas - Bahrein - Chypre - Costa Rica - Emirats Arabes Unis Hong Kong - Ile Maurice - Iles Cayman - Irlande - Jersey – Labuan (Malaisie) - Liban - Lichtenstein - Luxembourg Monaco - Panama - Singapour - Suisse - Uruguay - Wallis et Futuna Emirats Arabes Unis - Hong-Kong - Labuan (Malaisie)Luxembourg - Malte - Monaco - Myanmar -Singapour Maurice Bahamas - Guernesey - Hong-Kong - Luxembourg - Monaco Suisse - Uruguay Bahrein - Emirats Arabes Unis - Gibraltar - Hong Kong - Labuan (Malaisie) - Liban - Luxembourg - Monaco - Myanmar Singapour - Suisse Bahamas - Hong-Kong - Jersey - Luxembourg - Malte - Monaco - Suisse

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La définition des paradis fiscaux est celle d’ATTAC et le tableau est celui d’ATTAC Vaucluse mis à jour le 01/09/2005 d’après les informations sur les sites Internet des banques. Source : http://www.local.attac.org/84/SL/implant_banques.htm

35

paradis fiscaux) inclut Société Marseillaise de Crédit, Banque de Savoie, Banque de Picardie, Banque Chaix, UBP ... Crédit du Nord (filiale de la Société Générale) inclut Banques Courtois, Lenoir Bernard, Nuger, Rhône Alpes, Tarneaud, Kolb Crédit Industriel et Commercial (filiale du Crédit Mutuel) inclut Scalbert Dupont, Lyonnaise de Banque, Crédit Industriel Alsace Lorraine, CIAL, Régionale de l'Ain, SNVB, CIO, Pasche, Transatlantique, CIN… Crédit Lyonnais (groupe Crédit Agricole : voir ci-dessus)

Monaco

Hong Kong - Liban - Labuan (Malaisie) - Luxembourg - Monaco - Singapour - Suisse Uruguay

El Salvador - Emirats Arabes - Hong Kong - Labuan (Malaisie) Liban - Luxembourg - Monaco - Paraguay - Singapour – Suisse

Crédit Mutuel inclut CIC (voir ci-dessus), BHE

Luxembourg - Monaco - Suisse + les implantations de la filiale CIC

La Poste Société Générale inclut Crédit du Nord (voir ci-dessus), BFM, Fimatex, Asset Management

Andorre - Monaco Bahamas - Chypre – Dublin - Emirats Arabes Unis - Gibraltar Guernesey - Hong Kong - Jersey - Labuan (Malaisie) - Liban Luxembourg - Monaco - Panama - Singapour - Suisse

Ainsi, nous sommes tous pris, consciemment ou non, dans les mailles des paradis fiscaux, ce qui rend difficile leur interdiction. Mais ceci n’est pas impossible, comme nous allons le voir.

3.3 Comment interdire les paradis fiscaux ? Cette question est technique et organisationnelle. L’impunité actuelle de leur utilisation est source de leur expansion sans fin. Pour dégonfler ces paradis fiscaux progressivement, nous proposons aux politiques et aux citoyens une réforme pragmatique. Elle repose sur un message clair avec un terme suffisamment lointain pour être réaliste et suffisamment proche pour être dissuasif. Un terme entre 5 et 10 ans nous paraît raisonnable. A ce terme, leur utilisation devra être sanctionnée pénalement. 3.3.1 L’impunité des paradis est l’enfer des démocraties L’OCDE, après avoir été en pointe dans la lutte contre les paradis fiscaux, a vu son impact réduit à peu aujourd’hui. Après de nombreuses réticences des Etats-Unis, en juillet 2000, l’OCDE avait établi une liste de 35 paradis fiscaux et souhaité "des mesures défensives" contre les pays qui ne changeraient pas leurs politiques. Pour l’efficacité du combat, la participation des Etats-Unis était fort utile. Mais, alors qu’elle venait enfin de trouver le soutien de l’administration de Clinton, l’élection de George Bush a

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arrêté ce processus brutalement. Ainsi51, “Monsieur Summers, le dernier secrétaire au trésor de Clinton, ainsi que Monsieur O’Neill, celui de Bush, ont uni leurs efforts pour protéger les paradis fiscaux offshore et les fonds qui y sont placés”.

Le résultat a été que l’OCDE, estimant ne pouvoir se passer de ces lieux si les Etats-Unis continuaient à les utiliser massivement, a pratiqué une lutte sans réellement souhaiter qu’elle aboutisse. De nombreuses juridictions ont pris l'engagement d'améliorer la transparence et de procéder à des échanges effectifs de renseignements et sont considérées comme des juridictions coopératives. Les autres juridictions, qui n'ont pas encore pris d'engagement en matière de transparence et d'échange effectif de renseignements, ont été qualifiées par le Comité des affaires fiscales de l'OCDE de paradis fiscaux non coopératifs en 2002 : Andorre, Principauté du Liechtenstein, Liberia, Principauté de Monaco, République des Iles Marshall. Les modèles d’accord entre pays, que demande l’OCDE, n’empêchent même pas les juridictions coopératives de rester des zones de non droit car les contraintes sont faibles : « L’autorité compétente de la partie requise transmet aussi rapidement que possible à la partie requérante les renseignements demandés. … si l’autorité compétente de la partie requise n’a pu obtenir et fournir les renseignements … elle en informe immédiatement la partie requérante, en indiquant les raisons de l’incapacité dans laquelle elle se trouve de fournir les renseignements, la nature des obstacles rencontrés ou les motifs de son refus. »

Par ailleurs, contrôler certaines banques est fort utile pour l’impunité des trafics. Les banques ne sont pas des entreprises ordinaires puisqu’elles contrôlent les flux financiers et en réfèrent aux autorités nationales. Or, aujourd’hui, il est indéniable que la mafia contrôle des centaines de banques de par le monde. La BCCI est une banque du Moyen-Orient, basée au Luxembourg, qui connaîtra une faillite retentissante en 1991. Elle a été associée52 à diverses activités criminelles, en particulier le blanchiment d'argent au profit des cartels colombiens de la cocaïne et du général Noriega au Panama. C’est la première d’une longue liste de banques aux mains des mafias.

En 1998, Jean de Maillard a explicité seize techniques pour blanchir sans risque son argent. Les mafias et les délinquants financiers en col blanc connaissent toutes ces techniques et les juges ne peuvent plus prendre que par hasard quelques-uns d’entre eux, les plus maladroits et les moins dangereux. Il faut savoir que la demande d’un juge pour avoir une information simple, à savoir le nom du propriétaire

51

52

Stiglitz J., “L’Amérique doit renoncer à ses dogmes”, Les Echos, jeudi 11 Octobre 2001. Beaty J., “The Dirtiest Bank of All”, Time, 29 July 1991.

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d’un compte, peut prendre facilement 2 ans, et peut même rester sans réponse dans certains paradis fiscaux. Les montages les plus complexes enchaînent plusieurs centaines de comptes dans divers paradis fiscaux. Or, en révélant cette réalité, ce juge pouvait s’attendre à une levée de colère dans l’opinion publique… il n’en a rien été. Notre inaction et celle des hommes politiques font que, en 2008, l’ensemble de ces techniques reste opérationnel et sans parade possible pour les organisations judiciaires.

3.3.2 Introduire le doute pour miner la confiance dans le paradis

Alors peut-on faire quelque chose pour supprimer les paradis fiscaux ? Des pistes peuvent être envisagées tant au niveau individuel que collectif. Au niveau individuel, l’investisseur peut exiger, au travers de l’investissement socialement responsable (voir partie V section 4), d’avoir une influence sur les pratiques des entreprises. Les entreprises partenaires dans les fonds éthiques ne devraient pas être implantées dans les paradis fiscaux. Actuellement ce n’est pas le cas. Les agences de notations, qui aident les investisseurs socialement responsables à choisir les titres de leur fond éthique, doivent menacer de radier ces entreprises et le faire si leurs pratiques n’évoluent pas (voir partie V section 3). Même à titre individuel, l’actionnaire peut poser des questions écrites précises aux assemblées générales, ce qui se révèle souvent très gênant pour les directions et les conduit à évoluer. Au niveau collectif, il convient de s’unir au niveau européen. Arnaud Montebourg est un des rares représentants politiques à marteler régulièrement qu’il est temps de s’interroger sur les pratiques de ces paradis fiscaux aux portes de l’Europe et propose des mesures collectives radicales53 : « Les grands pays européens devront s'unir... afin de construire les conditions d'un changement radical de comportement de ces paradis à nos portes qui, si nous restons les bras ballants, nous préparent l'enfer fiscal… Les gouvernements des Etats européens ne peuvent plus accepter les abus de voisins indélicats, comme la Confédération helvétique, qui font financer leurs besoins par la richesse des autres… Ne vaudra-t-il pas mieux assumer la confrontation inévitable avec ces territoires, comme le général de Gaulle sut le faire en décrétant en 1963 un blocus contre la principauté de Monaco qui dut ainsi plier l'échine ? ». Plus récemment, l’exclusion de Nauru a fait plier ce paradis fiscal qui s’est

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conformé aux exigences de coopération de l’OCDE et est ainsi sorti de la liste des paradis fiscaux non coopératifs 54 : « Juste avant de quitter le pouvoir, le gouvernement Jospin a pris un décret interdisant toute transaction financière en provenance ou à destination de l'île de Nauru, présente sur la liste noire du Gafi. C'est ce combat-là qu'il faut reprendre et que la droite européenne a abandonné. » Il faut souligner qu’une attaque plus décisive à l’égard de l’ensemble des paradis fiscaux nécessitera une définition plus large du paradis fiscal car nombre de territoires ne sont pas dans la liste de l’OCDE alors qu’ils permettent blanchiment et fraude fiscale. Toutefois, il faut rester prudent afin de ne pas déstabiliser l’économie mondiale. Une adaptation progressive de l’économie, qui dans l’état d’addiction où elle se trouve ne peut supporter une loi radicale à effet immédiat, est indispensable. Par exemple, toutes les banques sont présentes dans les paradis fiscaux. S’interdire cette présence les priveraient de nombreux « très bons » clients : les grandes entreprises qui ont des filiales dans les paradis fiscaux et doivent faire des transferts par leur banque du holding à la filiale ; les riches particuliers qui, dans leur majorité, y sont présents pour gérer leur fortune. Interdire aux banques d’user des paradis fiscaux reviendrait probablement à leur supprimer des commissions représentant un montant supérieur à leurs bénéfices ! Des mesures doivent obliger les intervenants à se repositionner progressivement. Il faut donc tout d’abord que l’OCDE ait une définition claire des conditions pour être déclaré paradis fiscal. Puis le critère strict, applicable à une date butoir, au terme de 8 ans par exemple, consisterait à déclarer illégales toutes les transactions avec les pays déclarés paradis fiscaux par l’OCDE. Cet étalement dans le temps permettrait à la fois aux pays sur la liste de se mettre en adéquation avec les nouvelles règles et aux entreprises de quitter ces territoires si ces derniers ne se conforment pas progressivement aux exigences de l’OCDE. Pour aboutir à cet objectif, il est indispensable que les hommes politiques sentent la volonté massive des citoyens de mener ce combat. Leur engagement dans ce sens doit être vérifiable par l’électeur. Il faut donc exiger des politiques, lors des élections, des mesures dont le citoyen puisse suivre facilement la mise en place. Il s’agit aussi de toucher l’entreprise présente dans les paradis fiscaux en favorisant celles qui n’y sont pas ou n’y sont plus. Il convient également de toucher la banque en lui fixant une date de départ définitif de ces paradis fiscaux. Il importe que l’entreprise et la banque ressentent la pression de l’investisseur socialement responsable et des fonds éthiques dans lesquels il investit.

53

Montebourg A., « Johnny, un exil utile ? », Libération, 2 janvier 2007.

39

Première proposition : Réserver les marchés publics, les subventions et les aides aux entreprises n’ayant pas de filiales dans les paradis fiscaux. Cette sélection pourrait être faite à partir d’une liste d’entreprises dont seraient exclues certaines entreprises nationales ou étrangères lorsque les structures de leurs filiales ne sont pas transparentes. Deuxième proposition : Interdire aux banques toute transaction avec les paradis fiscaux à horizon 2015. L'interdiction serait faite aux banques d'ouvrir des filiales ou d'accepter (ou de virer) des fonds provenant d'établissements installés dans des territoires qui refusent ou appliquent de manière purement virtuelle la coopération judiciaire internationale. La liste sera une liste stricte des pays qui doivent rentrer dans une norme à fournir pour 2015. Troisième proposition : Pousser les agences de notations sociales à pénaliser fortement la présence dans les paradis fiscaux. Contrairement à ce qui se passe actuellement, les agences de notations sociales et environnementales devraient pénaliser fortement (avec une note nulle sur la partie sociale) les entreprises et banques qui n’adhérent pas aux propositions 1 et 2 et ne luttent pas activement pour les mettre en place.

Il existe plusieurs justices. La justice du fisc accepte les pratiques des paradis fiscaux mais tente de les limiter. La justice du tribunal, lorsqu’elle est saisie, remonte rarement jusqu’à la source. La justice des citoyens peut imposer à ses représentants élus de voter des lois. Seule la lutte des citoyens peut venir à bout des paradis fiscaux. Sans cette lutte, il n’y aura plus de citoyens mais des serfs.

54

Montebourg A., « Il y a des pratiques de pillage », Libération, 16 janvier 2007.

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3.4 Pistes bibliographies

SAVOIR Sur les paradis fiscaux : De Maillard J., Un monde sans loi, Stock, 1998. L’association ATTAC est à l’avant-garde de la lutte contre les paradis fiscaux : http://france.attac.org/r4 http://www.suisse.attac.org/-Documentshttp://www.local.attac.org/attac38/paradis_fiscaux.html Le

site

du

professeur

Gérard

Verna,

spécialiste

du

monde

caché

des

affaires :

http://www.fsa.ulaval.ca/personnel/vernag/EH/F/deff/noir.html

41

Annexe 1 : Les banques russes Plus de la moitié des banques russes serait contrôlée par la mafia qui détient également la mainmise sur plus de 80% des entreprises russes. Benyamin Sokolov, responsable des commissaires aux comptes russes, déclare55 : «Nous avons enquêté sur certains des fonds prêtés par le FMI et je dois reconnaître que plusieurs milliards de dollars n’ont pas été affectés aux programmes prévus. Une partie de ces sommes a tout simplement été volée. » En septembre 2006, Andrei Kozlov, numéro deux de la Banque centrale russe, souhaitant lutter contre le blanchiment, est victime dans un parc de Moscou d'un assassinat commandité. La mafia russe investit massivement dans les entreprises du monde entier en se servant de holdings implantés dans des paradis fiscaux et de banques russes. La résistance des entreprises achetées est faible. Par exemple, la presse économique

française56 nous apprend que « le plus important

conglomérat privé russe, Alfa Group, souhaiterait acquérir 20 % du capital du britannique Vodafone, un investissement de 22 milliards d'euros. Il s'intéresse également à France Télécom et Deutsche Telekom. Le groupe … audité par PriceWaterhouseCoopers revendique une transparence et une gouvernance occidentales ». La presse française semble bien naïve, pudique ou incompétente. En effet, si les assertions suivantes sur la banque russe Alfa Bank sont vraies, alors les salariés de France Telecom souhaiteront-ils vraiment voir un tel investisseur entrer au capital de leur entreprise ?

57

:

« Mikhaïl Friedman sortit Poutine d’une affaire qui l’accusait de s’être livré à une opération frauduleuse de troc de matières premières contre des produits alimentaires. Des millions de dollars auraient disparus à cette occasion. Cette proximité avec l’actuel président russe a permis au groupe Alfa de placer trois collaborateurs dans l’administration présidentielle, et de contrôler un grand groupe de députés à la Douma. Les holdings du groupe sont implantés dans des paradis fiscaux, comme le Alfa Bank Holding Ltd basé à Gibraltar, ou le Alfa Finance Holding SA au Luxembourg. En France, la DST soupçonne le groupe Alfa d’être étroitement lié à l’organisation criminelle moscovite Solntsevo58. Cette dernière, qui tire son nom de l’une des cités-dortoirs au sud de Moscou, regrouperait 1500 membres chapeautant une demi-douzaine de groupes criminels (drogues, racket, blanchiment d’argent, corruption de fonctionnaires. »

55

Bessières M., « La corruption, plus qu’une affaire d’État », Courrier de l’UNESCO, octobre 2001. Nodé Langlois F., »Le russe Alpha Group s’intéresse à Vodaphone et France Telecom », Le Figaro, 3 novembre 2006. 57 Source : Le groupe Alpha, 24 avril 2003 sur infoguerre : http://www.infoguerre.fr 58 Concordant avec Dumond J., « Les notes secrètes qui accusent l'affréteur du « Prestige », Le Parisien, 5 février 2003. 56

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Annexe 2 : Comment les multinationales échappent-elles à l’impôt ?

Les grandes entreprises échappent à l’impôt grâce aux paradis fiscaux: Le président de Total, entreprise affichant 12,5 milliards d'euros de bénéfice en 2006, s’est borné à marteler qu’il ne réalise que 5 % à 6 % de ses profits en France sans vouloir donner le montant des impôts payés en France. De fait, les sociétés du SBF120 ne paieraient en moyenne que 10 à 15% d’impôts sur leurs bénéfices. Si les petites entreprises continuent à payer l’impôt, ce n’est donc plus le cas des grands groupes qui partent massivement s’installer dans certains pays. La Suisse est ainsi un paradis des sièges sociaux 59 : « Sait-on que la plupart des sièges sociaux des grandes entreprises transnationales ayant leur activité en Europe (Hewlett-Packard, Gillette, Procter & Gamble, Ralph Lauren, Colgate Palmolive, Pfizer, Cisco, General Motors,, entre autres), est allée s'installer dans les républiques cantonales de la Confédération Helvétique ?… Ce seront bientôt 1 400 sièges sociaux qui partiront en Suisse, soit l'équivalent de 32 milliards d'euros de recettes fiscales sur les profits de ces entreprises. La république de Genève propose aux sièges sociaux des entreprises un taux d'imposition de 6,4 % contre 33 % en France, 30 % en Angleterre, environ 30 % en Allemagne.» Aussi, les entreprises comme Microsoft défendent devant l’OMC le droit d'utiliser des filiales dans les paradis fiscaux grâce auxquels

60

« Microsoft n’a payé aucun impôt en 1999 alors qu’il a réalisé

$12.3 milliards de bénéfices aux Etats-Unis. Sur 2001 et 2002, le taux d’imposition fiscale de Microsoft a été seulement de 1.8% pour $21.9 milliards de bénéfices aux Etats-Unis. » En 2005, la presse découvre que61 « la quasi-totalité des revenus des brevets de l'entreprise gérés par sa filiale Round Island One Limited, située en Irlande, faisait perdre environ 500 millions de dollars par an de recettes fiscales aux Etats-Unis. On a appris que Microsoft avait réagi : elle a changé le statut juridique de Round Island One afin de ne plus être obligée de fournir des documents publics sur les comptes de la société. »

59

Montebourg A., « Johnny, un exil utile ? Rebond », Libération, 2 janvier 2007. Lucy Komisar, journaliste indépendante, USA, forum de Genève Attac, le 28 mars 2004, Genève sur http://www.suisse.attac.org/Paradis-Fiscaux-comment-les-Etats 61 Chavagneux C., « Les paradis fiscaux, piliers du capitalisme », Alternatives économiques, n°252, Novembre 2006. 60

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Certaines entreprises, non seulement ne versent pas d’impôts mais récupèrent des subventions : « De 1996 à 2000, Goodyear a fait un bénéfice de $442 millions et a récupéré $23 millions. Parmi d’autres compagnies qui ont obtenu des récupérations d’impôts en 1998 figuraient Colgate-Palmolive, Texaco, Chevron, PepsiCo, Pfizer, J.P. Morgan, MCI Worldcom, General Motors, Phillips Petroleum. » Les grandes entreprises échappent à l’impôt grâce au prix de transfert : Il est possible de faire baisser le bénéfice d’une entreprise en augmentant ses charges de l’année et d’augmenter du même montant les bénéfices d’une autre entreprise détenue par le groupe localisée dans une zone moins fiscalisée. Prenons pour exemple une société française qui achète pour 10 du matériel en Espagne et qui revend pour 110 en Allemagne. Elle fait donc un bénéfice de 100 dont 33% est reversé à l’état français sous forme d’impôt. Grâce aux paradis fiscaux, toute société française peut créer une « société écran » pour y faire transiter des factures. La société écran achète pour 10 en Espagne. Elle revend ensuite pour 100 à notre société française qui revend ensuite en Allemagne pour 110. La société ne fait plus que 10 de bénéfice (toujours imposé à 33%) alors que la société écran réalise un bénéfice de 90 qui n’est pas imposé. Ce système bien huilé est de plus en plus utilisé par les grandes entreprises et déséquilibre l’économie planétaire62 : « La pratique utilisée pour faire passer les profits d'une filiale à l'autre est celle des "prix de transfert". Ce sont les prix auxquels les différentes entreprises d'un même groupe se vendent des biens et des services… des ampoules de flash venues de France à plus de 300 dollars (prix mondial environ 70 cents), tandis que notre beau pays importait des Etats-Unis des mitrailleuses à 364 dollars pièce (valant plus de 2 000 dollars).Selon un sondage réalisé par le cabinet d'audit Ernst & Young à la fin 2005, auprès d'un large échantillon de 476 multinationales réparties dans 22 pays, les stratégies de prix de transfert sont au cœur de leurs politiques fiscales pour 77% d'entre elles; 68% déclaraient intégrer la stratégie fiscale de prix de transfert dès la phase initiale de conception de leurs produits. »

Les grandes entreprises échappent à l’impôt grâce aux commissaires aux comptes : Suite au scandale d’Enron, la branche-conseil du géant de l’audit Arthur Andersen s’est transformée en Accenture, 75 000 employés, pour un chiffre d’affaires d’environ 12 milliards de $, en jouant avec maestria des possibilités des paradis fiscaux63 : « les associés ont fait le choix du montage suivant : la holding de tête, Accenture Ltd. est une société basée aux Bermudes. Ce holding contrôle un holding de

62 63

Chavagneux C., « Les paradis fiscaux, piliers du capitalisme », Alternatives économiques, n°252, novembre 2006. Rosé P., « Accenture, my holliday home in Bermuda », le Monde Informatique, 23 novembre 2001.

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second niveau, Accenture SCA, société luxembourgeoise. Mieux, Accenture a négocié un accord avec le ministre des finances des Bermudes : en cas de changement législatif, la situation d’Accenture restera identique au moins jusqu’au 28. mars 2016 ! En contrepartie Accenture doit verser une taxe maximale annuelle de 27.825$ » Ainsi, ceux-là mêmes chargés de certifier les comptes des entreprises sur lesquels s’appuie le fisc, sont aujourd’hui les premiers à conseiller les entreprises clientes de faire migrer leurs bénéfices dans les paradis fiscaux64 : « Les quatre grands du conseil international, exerçant à la fois des activités de conseillers et de vérificateurs des comptes des entreprises, contrôlent le marché des 500 plus grosses entreprises multinationales. Contrôlé par des trusts situés aux Bermudes et en Suisse, chacun opère dans environ 140 pays. Les paradis fiscaux représentent l'outil de base de ces grands cabinets. Comme le déclarait en septembre 2005 Loughlin Hickey, chef du département impôts de KPMG et nommé en décembre 2005 l'homme le plus influent du monde en matière de politique fiscale par le magazine professionnel Tax Business: "Je suis fier que KPMG soit présent dans ces territoires... Franchement, si des entreprises comme les nôtres, guidées par des principes, ne sont pas dans ces territoires, c'est que l'on ne souhaite pas les aider." »

64

Chavagneux C., « Les paradis fiscaux, piliers du capitalisme », Alternatives économiques, n°252, novembre 2006.

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Table des matières INTRODUCTION

ERREUR ! SIGNET NON DEFINI.

Partie I – Limiter les changements climatiques : que peut-on faire ?

Erreur ! Signet non défini.

Section 1 – Les changements climatiques

Erreur ! Signet non défini.

Section 2 –Des actions collectives

Erreur ! Signet non défini.

Section 3 – Des actions individuelles

Erreur ! Signet non défini.

Partie II – Nourrir les hommes : une gageure ?

Erreur ! Signet non défini.

Section 1 – Aujourd’hui : 600 millions de paysans sous-alimentés

Erreur ! Signet non défini.

Section 2 – Demain : nourrir 9 milliards d’humains

Erreur ! Signet non défini.

Partie III – Les autres menaces : relever le défi ?

Erreur ! Signet non défini.

Section 1 – Les écosystèmes : endiguer les dégradations

Erreur ! Signet non défini.

Section 2 – L’énergie : faire face à l’épuisement des ressources

Erreur ! Signet non défini.

Partie IV – Réguler la violence : un préalable ?

Erreur ! Signet non défini.

Section 1 – La vigueur de la violence

Erreur ! Signet non défini.

Section 2 – L’expansion des mafias

4

Section 3 – L’outil des paradis fiscaux

28

Partie V – Une nouvelle économie Ethique : une mutation en germe ?

Erreur ! Signet non défini.

Section 1 – Des indicateurs de mesure de nos progrès

Erreur ! Signet non défini.

Section 2 – Une aide au Business pour les plus pauvres

Erreur ! Signet non défini.

Section 3 – Des entreprises responsables

Erreur ! Signet non défini.

Section 4 – Des investisseurs soucieux d’éthique

Erreur ! Signet non défini.

Partie VI – Comment planifier un monde vivable pour tous en 2050 ?

Erreur ! Signet non défini.

Section 1 – Prévoir le futur

Erreur ! Signet non défini.

Section 2 – Justice ou Shoah : Nos propositions-clé pour un monde durable

Erreur ! Signet non

défini. CONCLUSION : QUELLE ETHIQUE DE L’ACTION ? TABLE DES MATIERES

ERREUR ! SIGNET NON DEFINI. 46

46

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