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ECHOS DU NORD N° 260 du Lundi 24 Novembre 2014
Libreville, malaise dans la peau
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Depuis quelque temps, la capitale est devenue un véritable chaudron. Les révélations du livre du journaliste et écrivain français Pierre Péan, les difficultés économiques, les difficiles conditions de vie et les grèves à répétition dans les différents secteurs d’activité pourrissent le climat dans la première ville du pays. Celle-ci ressemble désormais à un volcan à même d’entrer en éruption à tout moment. Etat des lieux.
L'état des voiries est révélateur d'un malaise
Il souffle un mauvais vent sur la capitale gabonaise
Jonas MOULENDA
A
U marché de MontBouët, les commerçants font grise mine. Alors que la grève générale illimitée lancée par plusieurs syndicats approche à la vitesse d’un météore, tous évoquent, avec nostalgie, la belle époque des années 1990, quand des centaines de clients débarquaient dans leur espace commercial pour leur « faire la recette ». « Le pays va mal. Nos affaires ne tournent plus bien », maugrée Mohamed, responsable d’un magasin de vêtements. Il avoue une baisse drastique de son chiffre d’affaires, à cause de la crise économique. Selon lui, tous les commerçants seraient en butte à une catastrophe économique. Son frère Demba, lui, craint que la situation aille de mal en pis avec les grèves à répétition qui minent le pays depuis un certain temps. « Quand il y a grève et troubles, on est obligé de ne pas ouvrir nos magasins pour éviter des pillages. Cela nous fait un grand manque à gagner », explique-t-il. La semaine dernière, l’Organisation nationale des employés du pétrole (Onep) et les fonctionnaires regroupés au sein de certains syndicats ont lancé un ultimatum au gouvernement, pour que leurs problèmes soient pris en compte. Faute de quoi ils promettaient d’appeler à un débrayage à partir du 27 novembre prochain. En attendant la date fatidique, l’atmosphère est tendue à Libreville. R E V E N D I C AT I O N S . Habituées aux conflits avec le gouvernement, les organisations syndicales diffusent des communiqués où elles dénoncent une attitude irresponsable qui plombe l’économie nationale. Employée dans une parfumerie située au centre-ville, Aïcha ressent, elle aussi, les effets de ce mouvement sur son chiffre d’affaires. Elle en veut surtout aux gouvernants, «qui n’ont pas anticipé après les premières grognes sociales». Selon elle, «l’activité est au ralenti depuis le
D'aucuns se demandent jusqu'à quand la police pourra-t-elle contenir les foules début de l’année». «Aujourd’hui, déplore Aïcha, la seule communication qu’on entend, c’est autour des règlements de comptes, des affaires politico-judiciaires et des conflits sociaux. Comment voulez-vous donner envie aux gens de venir chez nous ?» Pourtant, une petite lueur d’espoir s’était fait jour du côté de la présidence de la République, où s’étaient retrouvés les représentants syndicaux et le chef de l’Etat. Mais la rencontre semble avoir accouché d’une souris. Certains partenaires l’ont boudée. « Nous nous attendions à un dialogue. Mais nous avons eu droit à un monologue. Le président a parlé seul. Or, quand il y a crise, il faut que les parties concernées se parlent. Personnellement, j’ai refusé d’aller à une rencontre où je n’avais pas droit à la parole », se désole Marcel Libama, leader syndical dans le monde de l’éducation. La veille, Libama s’était rendu à Port-Gentil pour apporter son soutien aux membres de l’Onep qui organisait une assemblée générale pour décider de la conduite à tenir devant la non-satisfaction de ses revendications. Les syndicats basés à Libreville risquent de pourrir à nouveau le climat. « Nous avons voté à l’unanimité pour la poursuite de la grève. Les gens sont sortis très énervés de la rencontre avec le
président de la République. Il n’y rien eu de concret », renchérit M. Libama, déplorant le manque d’esprit de dialogue chez les gouvernants. Vendredi, 9 h 30 : entrée nord du Centre hospitalier universitaire de Libreville (CHUL). « Ce pays est pourri. Je reviens de l’hôpital, mais je n’y ai pas été reçu. Un patient est même mort devant moi », lâche une femme d’une quarantaine d’années, visiblement courroucée. Il faut entrer dans l’enceinte de la structure sanitaire pour comprendre les raisons de sa colère. Avachis sur un banc devant les services des urgences, des patients sont murés dans un grand silence. MELANGE TINTINNABULANT. De temps à autre, ils jettent des regards languissants sur des infirmiers, mais ces derniers ne leur accordent que très peu d’attention. « Ici, tu as plus de chances de mourir que d’être sauvés. Depuis un certain temps, les infirmiers font preuve d’une grande négligence », explique François, un homme d’une trentaine d’années, venu rendre visite à un proche interné à la suite d’un accident de la circulation. Il détourne la tête. « Ce pays est vraiment énervant. Où est la santé pour nous qu’on nous a tant promise dans les discours politiques ? » s’interroge-t-il. Son regard se durcit.
Puis, il va chercher des mots loin dans sa mémoire pour qualifier la situation qui s’offre à sa vue. « Ce n’est que foutaise ! » conclut-il. Et il tourne le dos, prétextant un rendezvous avec des hommes d’affaires dans un restaurant situé au bord de mer. Immeubles bigarrés, curieuses façades, routes défoncées, braquage : il y a un véritable malaise à Libreville. « Ce n’est plus comme avant », assure Rachel, une mère de famille qui vit dans la capitale depuis 25 ans. « Avant, on se sentait bien à Libreville. Maintenant, on y vit dans le stress permanent », fait-elle observer. Des propos en partie confirmés par son mari, Arthur, qui attend, comme elle, le bus
de la Société gabonaise de transport (Sogatra) à la vallée Sainte-Marie pour descendre dans la banlieue où vit le couple. Le sentiment de pourrissement de la situation domine à Libreville. Peu à peu, la méfiance y gouverne les esprits. Même dans les quartiers huppés, on ne se sent plus bien dans sa peau. Les inondations, la crise économique, l’insécurité et la peur des lendemains, tout cela crée un mélange tintinnabulant qui rend mal à l’aise de nombreux citoyens, de Plein-Ciel à Avorbam, en passant par les Akébé, Belles-Peintures, Basde-Gué-Gué, Charbonnages, Nzeng-Ayong, Okala, etc.