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Emanuele Quinz – Matthieu Saladin Rites, rythmes, ritournelles. Comment penser les arts du son aujourd’hui (à partir de Deleuze) Abstract: Le dialogue entre l’historien de l’art Emanuele Quinz et le philosophe et artiste Matthieu Saladin, depuis des années engagé dans une recherche théorique et pratiques sur les arts sonores, portera sur certaines notions musicales explorées par Deleuze et Guattari – la ritournelle et le rythme comme symptômes d’un ‘retour du sujet’ dans la production sonore et musicale, la notion de variation comme principe de ‘résistance’, et enfin les concepts d’art et d’histoire mineure, proposés dans le volume sur Kafka et ensuite dans Mille Plateaux, et ensuite repris par plusieurs historiens de l’art et de la musique, comme Branden W. Joseph. Il dialogo tra lo storico dell’arte Emanuele Quinz e il filosofo e artista Matthieu Saladin, da anni impegnato in una ricerca teorica e pratica sulle arte sonore, porterà su alcune nozioni musicali esplorate da Deleuze e Guattari – il ritornello e il ritmo come sintomi di un ‘ritorno del soggetto’ nella produzione sonora e musicale, la nozione di variazione come principio di ‘resistenza’, e infine i concetti di arte e storia minore, proposti nel volume su Kafka e poi in Mille Plateaux, e poi ripresi da diversi storici dell’arte e della musica, come per esempio Branden W. Joseph. Mots-clés: art sonore, Deleuze et Guattari, rythme, variation, art mineure Parole chiave: arte sonora, Deleuze e Guattari, ritmo, variazione, arte minore *** Ce n’est pas seulement affaire de musique, mais de manière de vivre: c’est par vitesse et lenteur qu’on se glisse entre les choses, qu’on se conjugue avec autre chose: on ne commence jamais, on ne fait jamais table rase, on se glisse entre, on entre au milieu, on épouse ou on impose des rythmes [G. Deleuze]1.

E. Quinz: «Le plus difficile, évidemment, c’est la musique»2. Même s’il ne l’a jamais affrontée frontalement, comme il l’a fait avec les arts plastiques ou le cinéma, la musique ne cesse d’apparaitre dans les textes de Deleuze. Présente comme une hantise – comme la mélodie de Vinteuil qui ne cesse de résonner sur le fond – c’est comme si elle faisait résistance à la pensée. Pourtant, la théorie de la ritournelle, exposée dans Mille Plateaux, avec la contribution fondamentale de Félix Guattari, constitue à mes yeux un apport important pour penser la musique aujourd’hui. Comme Barthes dans les mêmes années3, Deleuze et Guattari développent une réflexion sur la dimension indicielle, spatiale et donc relationnelle de l’écoute. Partant de la notion de son comme trace de la présence, Barthes évoque la possibilité de s’approprier un espace à travers le son. Il écrit: «l’appropriation de l’espace est aussi sonore: l’espace ménager, celui de la maison, de l’appartement (équivalent approximatif du territoire animal) est un espace de bruits familiers, reconnus, dont l’ensemble forme une sorte de symphonie domestique». Deleuze et Guattari utilisent le terme de «territoire», en tant que «premier agencement, première chose qui fasse agencement. L’agencement est d’abord territorial (...). Le territoire est un acte, qui affecte les milieux et les rythmes, qui les territorialise». G. Deleuze, Spinoza, Philosophie pratique, Minuit, Paris, 1981, p. 166. G. Deleuze, Pourparlers, Minuit, Paris, 1990, p. 187. 3 Cf. R. Barthes, Ecoute, in L’obvie et l’obtus, Seuil, Paris, 1982. 1

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Ce que les deux philosophes appellent ritournelle correspond à la dimension sonore de cet agencement: «la ritournelle va vers l’agencement territorial, s’y installe ou en sort. En sens général, on appelle ritournelle tout ensemble de matières d’expression qui trace un territoire, et qui se développe en motifs territoriaux, en paysages territoriaux. En sens restreint, on parle de ritournelle quand l’agencement est sonore ou dominé par le son». Dans cette perspective, l’émission devient une stratégie de territorialisation, et à l’opposé, la réception une stratégie d’individuation. Le territoire est donc marqué par des indices. Indices de la présence, de la persistance, de l’activité d’un noyau subjectif. Dans la théorie de la ritournelle, l’émission et l’écoute fonctionnent comme des forces (sonores) de subjectivation qui activent un champ de relation. En synthèse, la territorialisation correspond à l’instauration d’un foyer de subjectivité, d’un noyau d’identification à l’intérieur du flux indéterminé du chaos. L’individu (ou, dans le vocabulaire deleuzien, la singularité) se définit en produisant l’énonciation et, dans ce même mouvement, l’énonciation construit sa relation au monde. A partir de ces prémisses, le travail sur et avec le son change de coordonnées, ‘brise le cercle fermé de la composition’, n’est plus exclusivement contraint à l’articulation formelle d’éléments abstraits, n’est plus empêtré dans les grilles du langage, mais au contraire se reconnecte en quelque sorte au monde, au sujet dans le monde. Il n’est plus pure syntaxe, mais environnement. On pourrait dire que, grâce à cette réflexion, nous avons les instruments théoriques pour sortir d’une notion formaliste de la musique. M. Saladin: Le concept de ritournelle est en effet particulièrement utile historiquement pour penser sous un nouveau jour la musique et plus largement les arts sonores, voire même le passage de la première aux seconds, en ceci qu’il propose incidemment de concevoir la création sonore en termes de production spatiale. Le son ne se réduit dès lors plus, comme le suppose l’approche formaliste et traditionnelle de la musique, à un événement à deux dimensions, avec une hauteur (l’axe vertical) et une durée (l’axe horizontal), soit les deux principaux critères notationnels que l’on retrouve dans une partition, mais s’épaissit en quelque sorte d’une troisième dimension, comme dirait Alvin Lucier – troisième dimension qui lui est, en réalité, intrinsèque mais qui a été si souvent oubliée: l’espace; le son comme ce qui, dans le déploiement même des ondes acoustiques, génère des espaces. À travers le concept de ritournelle, et plus précisément si on l’utilise pour penser les arts du son, il ne s’agit plus d’envisager les sons comme des notes, mais comme des étendues4. Plusieurs œuvres pionnières de Lucier s’intéressent précisément à ce rapport. Pensons à Directions of Sounds from the Bridge (1978), où le spectateur fait, en temps réel, l’expérience visuelle des espaces fugitifs produits par la propagation de différents sons5. Dans Bird an Person Dyning (1975), la partition invite déjà l’interprète à cartographier l’espace sonore produit au gré de ses déplacements, à travers un dispositif de feedback. Ces deux pièces soulignent, en outre, un élément important du concept de ritournelle: les espaces produits ne sont pas statiques (même dans le cas des ondes stationnaires), donnés une fois pour toute, mais s’inscrivent dans des dynamiques et sont par nature éphémères (que leur durée/persistance soit brève ou longue, peu importe) – le son marque un territoire en premier lieu par la propagation de son énergie acoustique, son ondulation. Ainsi, à la relation d’altération plus communément admise que constitue la résonance d’un espace (comment un espace affecte une émission sonore), s’en adjoint une autre: celle où les sons eux-mêmes distribuent et partitionnent l’espace, le délimitent et le jalonnent par leur organisation propre et leur répétition périodique: «le territoire

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Cf. B. Gallet, Composer des étendues. L’art de l’installation sonore, HEAD, Genève, 2005. Cf. A. Lucier, Reflections. Interviews, Scores, Writings, 1965-1994, MusikTexte, Köln, p. 364.

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n’est pas premier par rapport à la marque qualitative, c’est la marque qui fait le territoire6». Mais il convient de ne pas minoriser l’importance de la première relation (la résonance), car elle relève également des marques qualitatives qui façonnent un territoire. De plus, la résonance et la propagation entrent pleinement en relation. Un son n’est jamais un simple courant d’air neutre traversant un espace, il emporte avec lui l’empreinte de celui-ci. Cette empreinte n’est par ailleurs pas seulement celle des fréquences de résonance desdits espaces, elle est tout à la fois sociale et culturelle, charriant les particularités d’un site. Pensons par exemple au travail de Peter Cusack et ses field recordings dans des zones réputées dangereuses (à Tchernobyl ou dans des exploitations pétrolières d’Azerbaïdjan), mais aussi en premier lieu à la série des Presque Rien de Luc Ferrari. C’est que l’acoustique d’un lieu ne se réduit pas à son architecture et sa topographie, elle dépend également des activités sociales, économiques, etc. qui y prennent place. C’est un aspect qui m’intéresse particulièrement dans ma propre pratique et que j’ai pu par exemple aborder dans la création d’une gamme de sonneries textuelles pour téléphone portable (Sonneries publiques, 2014) – les sonneries de portable ne représentent-elles pas les ritournelles les plus répandues aujourd’hui? – ou dans une installation sonore présentée en 2013 au CAC Brétigny, intitulée La production de l’espace. Dans cette dernière pièce, un logiciel déclenchait un appel sur une cabine de téléphone public choisie de manière aléatoire parmi l’ensemble des cabines de l’agglomération du Val d’Orge, dont dépend le centre d’art du point de vue administratif et économique, à chaque fois que les agents du centre recevaient un email sur leur adresse professionnelle. Si, par hasard, un passant décrochait le combiné, le logiciel reconnaissait la langue du message et une voix de synthèse annonçait alors l’adresse de la cabine et lisait le contenu du message, les éventuelles réponses du passant étant en retour audibles dans l’espace d’exposition. La pièce produisait ainsi une sorte de partition spatiale renégociant de manière discrète les relations entre l’espace public (également circonscrit comme territoire administratif et politique), l’espace du centre d’art, qui constitue luimême, du moins dans sa mission, un lieu public, et des flux de communication numérique. Mais pour revenir à la production de l’espace propre à la ritournelle, et la compréhension des sons en tant qu’étendues qu’elle implique, il faut voir aussi ce que ça change du point de vue de l’écoute. Car l’écoute prend alors un autre sens, ou plutôt s’étend elle-même pour composer avec d’autres activités qui ne cessent de la façonner: l’écoute d’un agencement sonore – qu’il soit composé, improvisé, ou disposé dans une installation, mais aussi ceux issus des entremêlements complexes d’ambiances qui structurent un paysage sonore urbain par exemple – devient un itinéraire, et cet agencement un espace que l’on parcourt, un chemin à arpenter, qui ne serait d’ailleurs pas seulement préexistant à cette écoute, mais que celle-ci produirait en partie dans son activité même. En cela, il me semble qu’il ne faut pas opposer trop rapidement les couples émission-territorialisation et réception-individuation. L’écoute elle-même dessine des territoires. Et il y a toujours plusieurs cartes qui se superposent, au sens où un même espace sonore est peuplé d’une diversité de forces territorialisantes qui agissent simultanément, selon des intérêts communs ou distincts, synergiques ou antagonistes, et où se tisse ainsi un réseau de convergences et de divergences affectives ou, pour reprendre un lexique sonore, de fréquences s’amplifiant, s’annulant ou s’absorbant. Tenter de saisir toutes les implications de cette ‘troisième dimension’ des sons, comme y invite le concept de ritournelle, nous mène alors rapidement au-delà de la seule appréhension phénoménologique du sonore, pour en révéler les enjeux sociaux et 6

G. Deleuze – F. Guattari, Mille plateaux, Capitalisme et schizophrénie II, Minuit, Paris, 1980, p. 388.

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politiques, mais aussi ceux liés à l’écologie, à l’urbanisme, etc. Ainsi des dispositifs techniques générant des ritournelles pour territorialiser, et même privatiser, l’espace public, à l’instar du Mosquito commercialisé au milieu des années 2000. Se présentant sous la forme d’un petit boîtier à fixer aux murs des établissements désireux d’éloigner les ‘indésirables’, ce répulsif sonore inventé par Howard Stapleton reprend le principe des dispositifs ultrasoniques censés chasser certains espèces, comme les moustiques, d’un endroit donné. Si le mouvement territorialisant de la ritournelle s’articule néanmoins chez Deleuze et Guattari avec ceux de déterritorialisation et de reterritorialisation, cet exemple montre combien le son compris comme marque territoriale peut être utilisé non seulement pour circonscrire une zone, mais aussi pour en légiférer l’accès. Le son redessine l’espace et ses parcours, tout comme il en complexifie et en réagence constamment la construction à travers des jeux d’imbrication et de projection sonore. Toutefois, l’association son-territoire peut aussi porter à confusion sur le type d’espace en question (ce qui rejoint ce que j’évoquais précédemment sur les dynamiques et les différents rapports impliqués). Si les sons peuvent signifier des frontières, ils s’en accommodent en même temps difficilement. Leur nature ondulatoire les voue à la propagation. Ils ont cette fâcheuse tendance à déborder les espaces au sein desquels on voudrait bien les contenir, traversant les murs et contournant les obstacles, résonant ici pour mieux s’ébruiter ailleurs. Toute personne ayant des voisins un peu bruyants le reconnaîtra volontiers, mais c’est également une particularité avec laquelle la scénographie des expositions d’art sonore doit bien souvent composer. Il existe certes aujourd’hui des systèmes de diffusion faisant preuve d’une directionalité de grande précision et dont on trouve des usages aussi bien dans la sonorisation publicitaire que dans l’armée (pensons notamment au canon Long-range Acoustic Device). Mais les espaces qu’ils dessinent n’en possèdent pas moins des contours nécessairement flous, aussi définis soient-ils. C’est que la frontière des sons est une zone poreuse, celle de leur propre épuisement. Les sons ne tracent pas un périmètre, comme des piquets délimitent un champ; encore une fois, leur projection déploie une étendue, par ailleurs sujette au recouvrement et au chevauchement des autres sons qui les jouxtent. E. Quinz: Un autre élément me semble important dans la réflexion sur la ritournelle: c’est la question du rythme. Pour Deleuze et Guattari, le rythme est plus une distance qu’une métrique basée sur la répétition, il est lié dans son essence même au chaos, qu’il essaie de le déjouer ou qu’il menace d’y retourner. Ainsi, le rythme n’est pas connecté à ce qui est fixe, mais s’inscrit dans le mouvement, dans le passage: Il y a rythme dès qu'il y a passage transcodé d'un milieu à un autre, communication de milieux, coordination d'espaces-temps hétérogènes. (...) Le rythme se pose entre deux milieux, ou entre deux entre-milieux, comme entre deux eaux, entre deux heures, entre chien et loup, twilight ou zwielicht, Heccéité. Changer de milieu, pris sur le vif, c'est le rythme 7.

Et encore (en reprenant les réflexions de Différence et Répétition): «c'est la différence qui est rythmique, et non pas la répétition qui, pourtant, la produit; mais, du coup, cette répétition productive n'avait rien à voir avec une mesure reproductrice»8. La nature du rythme n’est pas une question de mesure mais d’expression. On retrouve ici une conception du son en tant que vecteur de subjectivation, notamment lorsque Deleuze et Guattari reprennent la notion de «personnages rythmiques» de Messiaen:

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Ibid. Ivi, p. 386.

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© Logoi.ph – Journal of Philosophy – ISSN 2420-9775 N. II, 4, 2015 – Gilles Deleuze and the Resistance of the Arts Maintenant c’est le rythme lui-même qui est tout le personnage, et qui, à ce titre, peut rester constant, mais aussi bien augmenter ou diminuer, par ajout ou retrait de sons, de durées toujours croissantes, par amplification ou élimination qui font mourir et ressusciter, apparaître et disparaître... 9

En bref, «la ritournelle, c’est le rythme et la mélodie territorialisés, parce que devenus expressifs, — et devenus expressifs parce que territorialisants»10. Dans ce cercle apparent, il s’agit de s’approprier musicalement un territoire, de s’abriter du chaos et en même temps de se différencier des autres subjectivités en présence. Comme l’explique justement Pierre Sauvanet, dans ‘ritournelle’, il y a rite; un rite propre à soi, comme pour se rassurer, ou propre à une communauté; un rite sorti du chaos, toujours lié à lui, mais qui permet de ne pas retomber en lui. Et puis il y a ‘retour’, comme un petit retour, une boucle intime joliment bouclée: si le rythme sonorise la durée, la ritournelle fabrique du temps, son temps11.

D’ailleurs, dans son texte sur Bacon, Deleuze transpose la notion de figure rythmique de la musique à la peinture12. M. Saladin: Envisagée du point de vue des arts sonores, la définition du rythme comme un passage de milieux, ce qui «se pose entre deux milieux», me semble trouver une occurrence particulièrement pénétrante dans le travail sur la microtonalité qui intéresse tant de compositeurs et d’artistes, et notamment dans l’effet qui intervient lorsque deux fréquences proches (d’une différence de l’ordre du comma, ou a minima inférieure au demi-ton) sont émises simultanément, provoquant un battement audible, un rythme qui n’appartient à aucune des deux fréquences proprement dites, mais à leur altération dissonante réciproque, autrement dit à leur intervalle, à l’espace inframince qui les sépare et les relie à la fois. Je pense entre autres au travail du compositeur et artiste américain intermédia (cette appellation ne consiste-t-elle d’ailleurs pas à souligner les possibilités de rythmes/différences permises par la rencontre de plusieurs médias?) Phill Niblock. Venu du cinéma expérimental et de la photographie, ce musicien commence au début des années 1970 un travail sur des sons microtonaux tenus sur de longues durées, produisant une sorte de bourdonnement ou de bourdon (drone), et diffusés à très haut volume sonore (aux alentours des 100 dB), précisément parce qu’un tel volume permet de faire ressortir les harmoniques générées par les croisements et superpositions de fréquences – leur propre rythme venant alors scander et complexifier celui des sons fondamentaux dont elles sont issues. Très rapidement, Niblock associe à sa musique la projection de films, compris comme nouvelle couche ou nouvelle superposition venant s’ajouter à la densité sonore. Pensons notamment à sa série The Movement of People Working (1973-74), principalement filmée au Mexique et au Pérou. Au premier abord, les images tranchent avec l’abstraction des sons diffusés: ce sont des activités humaines répétitives, des hommes au travail, des images glanées à travers le monde au gré de ses voyages : ici des hommes qui pêchent, là d’autres qui scient un arbre, construisent un mur, découpent, trient ou assemblent, etc. En bref, des hommes à l’ouvrage, pris dans le rapport infini du labor. Mais à mesure que le caractère hypnotique de ces gestes répétitifs agit sur l’expérience du spectateur, nous en venons à percevoir les subtiles différences qui Ivi, p. 391. Ivi, p. 389. 11 P. Sauvanet, Deleuze et la musique, texte inédit, inspiré de la série d’émissions Les chemins de la musique consacrée à Deleuze, la musique et les musiciens, la semaine du 22 au 25 avril 2002 sur France-Culture (avec, par ordre chronologique, Elie During, Pierre Sauvanet, Jacques Rancière, Michael Jarrell, Pascale Criton, Rodolphe Burger, Richard Pinhas). 12 G. Deleuze, Francis Bacon, Peinture et sensation in Logique de la sensation (1989), Seuil, Paris, 2002, pp. 26-31. 9

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émergent des complexes sonores donnés simultanément à l’écoute, emplissant l’espace de leur rythme ondulant tel une mélodie fragile mais néanmoins persistante: aux rythmes microsociaux des tâches quotidiennes répondent alors les flux microtonaux. Si ces flux microtonaux sont constitués de rythmes (les battements de fréquences), les rythmes microsociaux, compris en un sens tardien, n’émergent-ils pas eux-mêmes de flux? On sait que pour Gabriel Tarde – que Deleuze contribua à faire redécouvrir – que la vie sociale doit en premier lieu être appréhendée à son niveau moléculaire, en partant de l’infinitésimal, de la multiplicité qui s’y déploie, et d’où se profilent ce que Éric Alliez appelle, dans un sillage deleuzien, des «flux moléculaires»13, se composant les uns les autres, s’emboîtant, se chevauchant, s’altérant mutuellement pour produire, une fois encore, de la différence14. De ce point de vue, on pourrait même envisager ces gestes répétitifs que ne cesse de filmer avec obsession Niblock depuis presque un demi siècle comme une sorte d’inventaire de flux moléculaires – flux que la composition musicale projette ensuite dans la sphère sonore, comme pour nous «rendre audibles des forces qui ne sont pas audibles en elles-mêmes»15. Par ailleurs, pour Tarde, ce rapport ne concerne pas seulement nos activités sociales, mais se trouve finalement être constitutif des individus eux-mêmes, de leur processus d’individuation. E. Quinz: Ce «retour du sujet» que la théorie de la ritournelle préconise, nous conduit à une pratique, celle d’improvisation - à laquelle tu as consacré un ouvrage, Esthétique de l’improvisation libre16. M. Saladin: Le retour du sujet à l’œuvre dans l’improvisation libre constitue sans doute la singularité même du rapport qu’entretient cette pratique à l’expérimentation, se démarquant ainsi de sa définition cagienne et de l’effacement du sujet qu’elle sous-tend. On retrouve certes, dans les pratiques improvisées qui émergent dans les musiques expérimentales des années 1960, le retrait de l’ego préconisé par John Cage, mais celui-ci vise alors moins à supprimer le sujet qu’à le repenser en tant que nécessairement et constamment pris dans des agencements collectifs d’énonciation. Si les improvisateurs s’intéressent à l’indétermination, comprise selon Cage comme condition de possibilité de l’expérimentation, cette dernière n’implique pas chez eux le ‘non agir’ ou le ‘non vouloir’. L’improvisateur cultive plutôt un mode d’être ouvert à l’imprévisible, mais qui ne renonce pas à l’infléchir, insufflant ainsi, selon les mots de Nietzsche, «une âme au hasard»17. C’est alors le rapport même à l’accident, mais aussi à l’échec, qui se trouve transformé, ces derniers étant intégrés dans le processus expérimental au profit de l’ouverture du champ des possibles qu’ils permettent: «Le possible ne préexiste pas, il est créé par l’événement, nous rappellent Deleuze et Guattari. C’est une question de vie. L’événement crée une nouvelle existence, il produit une nouvelle subjectivité (…)»18. L’approche cagienne, elle, demeure d’une certaine manière ‘indifférente’ face à l’accident, puisque l’indétermination s’y veut absolue. Alors qu’il existe dans l’expérimentation telle que l’envisage Cage une volonté de séparer le monde des sons du monde social, afin de laisser à chacun son autonomie et d’éviter toute Cf. É. Alliez, Introduction in G. Tarde, Monadologie et Sociologie, Les empêcheurs de penser en rond, Paris, 1999, p. 27-28. 14 Cf. chez G. Tarde notamment les volumes, Les lois sociales et Les lois de l’imitation. 15 G. Deleuze, Rendre audibles des forces non-audibles par elles-mêmes in Deux régimes de fous. Textes et entretiens 1975-1995, Les éditions de Minuit, Paris, 2003, p. 142-46. 16 Cf. M. Saladin, Esthétique de l’improvisation libre, Expérimentation musicale et politique, Les presses du réel, Dijon, 2014. 17 F. Nietzsche, Le gai savoir (1882), tr. P. Klossowski, Gallimard, Paris, 1982, p. 207. 18 G. Deleuze – F. Guattari, Mai 1968 n’a pas eu lieu (1984) in G. Deleuze, Deux régimes de fous, op. cit., p. 216. 13

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obstruction, l’un et l’autre tenteraient de ‘cohabiter’ dans le cas de l’improvisation libre. Les sons ne s’y trouveraient ni abandonnés à leur autonomie, ni assujettis à l’égo du musicien. S’il ne s’agit pas de supprimer l’indétermination au profit d’une situation prévisible dans ses moindres détails, supprimant de fait la possibilité même de l’improvisation, il ne s’agit pas non plus de se placer dans une situation ‘totalement’ indéterminée, qui impliquerait alors la disparition du sujet et la dissolution de toute praxis. Mais cette approche de l’expérimentation ne prend tout son sens qu’au regard du rapport que l’improvisation entretient avec la création collective. L’hétérogénèse musicale qu’elle vise ne dépend plus d’un sujet isolé, même s’il est occupé à lancer des pièces de monnaie ou à relever les imperfections d’une feuille de papier, mais émerge de la polyphonie, au sens de Bakhtine, qui traverse l’individu au sein du collectif. L’intérêt principal de la manière dont l’improvisation problématise le retour du sujet dans la situation expérimentale se situe bien, comme je l’évoquais précédemment, dans la prise en compte des agencements collectifs d’énonciation auxquels il participe ou qui le traversent à son insu. C’est un point qui me semble particulièrement important et c’est finalement de ce rapport-là qu’émerge l’indétermination en tant que telle, cette ouverture des possibles à même d’entraîner de nouveaux processus de subjectivation. E. Quinz: Pour conclure, je voudrais rappeler une autre notion développée par Deleuze et Guattari, qui a eu un grand succès critique, la notion d’art mineur. Comme le rappelle Anne Sauvagnargues, il ne s’agit pas «d’un art marginal, populaire ou industriel, (…) mais (d’)un exercice de minorité, de minoration (…), qui déséquilibre les normes majeures d’une société»19. Présentée d’abord dans l’ouvrage sur Kafka, dont le sous-titre est Pour une littérature mineure, cette notion est reliée à trois critères: «la déterritorialisation de la langue, le branchement de l’individuel sur l’immédiat politique, l’agencement collectif d’énonciation»20. Dans l’art mineur, «tout y est politique», «tout y prend une valeur collective»21. Cette notion permet de préciser le rôle de l’artiste comme «résistant»: en identifiant les diagrammes des forces en acte dans la société, il s’engage pour les excéder. Par quels moyens? La réponse de Deleuze et Guattari retrouve un terme musical, que nous avons déjà évoqué: par la variation «qui affecte chaque système du dedans»22. Entre autres, l’historien de l’art Branden W. Joseph, reprend la notion d’art mineur qu’il met en connexion avec celle d’histoire mineure, proposée par les artistes américains Mike Kelley et Tony Ousler dans leur Poetics Project (1977-1997), pour dresser une histoire spécifique, à l’apparence marginale, périphérique par rapport aux épisodes qui composent l’histoire officielle de l’art et de la musique, une sorte de contre-histoire constituée de «connexions et interactions hétérologiques»23. Centrée sur la figure du musicien et artiste Tony Conrad, cette contre-histoire s’inscrit dans le Social turn des années 1960, dont elle parcourt les tensions souterraines. Il s’agit d’un moment-clé pour l’histoire de la musique, où le «retour du sujet» que nous avons évoqué s’ouvre à la dimension sociale, participative, communautaire. La musique se découvre comme une force politique – notamment de résistance. Si, comme l’affirment Deleuze et Guattari, il n’y a d’histoire que de la majorité, peut-on affirmer, que finalement, il n’y a d’art que de la minorité? Cf. A. Sauvagnargues, Deleuze et l’art, Presses Universitaires de France, Paris, 2005, p. 139. G. Deleuze – F. Guattari, Kafka, Pour une littérature mineure, Minuit, Paris, 1975, p. 33. 21 Ivi, p. 30, p. 33. 22 G. Deleuze – F. Guattari, Mille plateaux, op. cit., p. 130. 23 B. W. Joseph, Beyond the Dream Syndicate. Tony Conrad and the Arts after Cage, Zone Books, New York,2011, p. 51. 19

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M. Saladin: L’Histoire avec un ‘h’ majuscule est nécessairement majeure, car elle est celle de la parole officielle, du pouvoir dominant, autrement dit l’expression par laquelle la majorité réécrit, invente et structure un passé, et par là, agit sur les mémoires, réifie la mémoire présente. Mais dans le même temps, il y a toujours aussi des histoires qui la débordent, l’infléchissent et la font bégayer comme autant de récits mineurs. Je dirais que c’est la même chose pour l’art. Certes, on aurait envie de dire que l’art se situe d’emblée du côté de la minorité. Mais on y trouve sans doute un rapport similaire à celui qui anime l’histoire. L’art ne ferait pas ici exception. Comme l’écrit Jacques Rancière, les arts ne prêtent jamais aux entreprises de la domination ou de l’émancipation que ce qu’ils peuvent leur prêter, soit, simplement, ce qu’ils ont de commun avec elles : des positions et des mouvements des corps, des fonctions de la parole, des répartitions du visible et de l’invisible. Et l’autonomie dont ils peuvent jouir ou la subversion qu’ils peuvent s’attribuer reposent sur la même base24.

En ce sens, l’Art avec majuscule appartient, à son tour, au majeur, mais il est simultanément en prise avec des processus poïétiques mineurs, qui ne cessent de l’infiltrer ou de s’en échapper, d’y fuir. Et la différence entre l’un et les autres ne tient pas simplement au type de pratique, au sens où un rapport majeur peut très bien gouverner des arts que l’on dira mineurs, et vice versa. En revanche, des approches spécifiques peuvent peut-être distinguer le type de rapport que l’on entretient à l’art. L’approche expérimentale, qui par définition refuse les modèles et est censée s’ouvrir au champ des possibles, relèverait ainsi ontologiquement du mineur. L’expérimentation en art contiendrait en soi la possibilité d’un devenir-minoritaire, par sa manière propre d’exploiter les failles de la norme, qu’il s’agisse de mésusages technologiques, d’insertions dans des circuits idéologiques, ou d’agencements collectifs d’énonciation. La jonction du mineur à la notion de devenir, telle que développée dans Mille Plateaux, poursuit et explicite à la fois la constellation des devenirs-animaux que l’on trouve dans le Kafka. Ce qui différencie initialement le majeur du mineur, c’est le rapport à la norme. Dans le cas de la majorité, la norme constitue un modèle, un mètre étalon auquel il est nécessaire de correspondre, alors que la minorité se caractériserait par sa déviance et son refus du modèle: «Ce qui définit la majorité» nous dit Deleuze, «c’est un modèle auquel il faut être conforme. (…) Tandis qu’une minorité n’a pas de modèle, c’est un devenir, un processus»25. Ainsi, le mineur n’est pas tant ce qui est marginal, périphérie entretenue par la norme, mais bien plus ce qui «qualifie un exercice de minorité, de minoration qui déséquilibre les normes majeures d’une société»26. C’est là que survient l’élément décisif qu’est le ‘devenir’. L’accent est alors mis sur la dimension processuelle à l’œuvre dans cet «exercice de minorité». Le devenir-minoritaire se distingue de la minorité, car celle-ci ne représente qu’un ensemble, un état défini, qui se qualifie comme sous-système de la majorité, se définit par elle, dans un rapport de dépendance bien qu’il puisse être d’opposition. Le devenir-minoritaire, lui, n’est plus un sous-système de quelque chose mais se manifeste dans sa singularité comme processus, dont la minorité serait le médium, et n’impose en ce sens pas de modèle: «Il n’y a de sujet du devenir, écrivent Deleuze et Guattari, que comme variable déterritorialisée de la majorité, et il n’y a de médium du devenir que comme variable déterritorialisante d’une minorité»27. Néanmoins, tout comme les points de résistance foucaldiens, ces devenirs ne sont pas purement hétérogènes. Il ne s’agit pas non plus d’opposition dialectique. À l’inverse, ils se profilent au sein même de ce dont ils divergent, y suscitent des tensions, «se dispersent le J. Rancière, Le partage du sensible. Esthétique et politique, La Fabrique, Paris, 2000, p. 25. G. Deleuze, Contrôle et devenir in Pourparlers, op. cit., p. 235. 26 A. Sauvagnargues, Art mineur – Art majeur: Gilles Deleuze in “EspacesTemps Les Cahiers”, n° 78-79, 2002, p. 127. 27 G. Deleuze – F. Guattari, Mille Plateaux, op. cit., p. 357. 24 25

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long des flux, (…) se développent au fur et à mesure que les flux machiniques les renforcent et les sollicitent, par et mettent de fait en réseau leurs points de résistance» 28. Et c’est par là même que ces devenirs peuvent fomenter des guérillas, au sens où l’entendait Deleuze, c’est-à-dire à la fois comprises dans leur caractère local et circonstanciel, mais aussi toujours pluriel et acentré. Peut-être est-ce précisément ce que nous écoutons et ce que nous regardons lorsque nous faisons l’expérience esthétique de pratiques expérimentales où se profilent des devenirs-minoritaires: des percepts et des affects de résistance et de guérilla pointant de manière sourde.

A. Querrien, Schizoanalyse, capitalisme et liberté: la longue marche des désaffiliés in “Chimères”, n° 5455, automne 2004, p. 110. 28

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